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10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 16:50

         Mutations multiples et nouvelles retrouvailles avec l’inspecteur principal Yves Boulogne.

 

         En cette fin d’année scolaire 64/65, il m’a été donné de rencontrer l’un de mes anciens professeurs de Ksar Saïd, qui était devenu « chef de division des sports civils » à l’administration centrale et qui avait eu vent de mes déboires, et d’abord avec l’inspecteur principal Yves B qu’il avait eu le temps de découvrir sous son vrai jour. Monsieur Mohamed Mongi Haddad  dont il s’agit, avait également appris mon mariage forcé et même l’état de santé de mon père.

 

         Et comme il m’avait toujours apprécié, en tant qu’ancien étudiant et en tant que basketteur, sport qu’il pratiquait sous les couleurs de l’E.S.T.,  il se proposa de m’aider à obtenir ma mutation dans un lycée de Tunis.

 

         A l’entame de l’année scolaire suivante, il essaya de me faire muter d’abord au lycée Carthage dont m’avait expulsé sournoisement Yves Boulogne et il faillit réussir à faire signer ma décision de mutation par notre Directeur Général (qui n’était plus Mzali, notre curieux visiteur du soir de l’année 62). Malheureusement, le projet de décision tomba malencontreusement entre les mains de l’inspecteur principal Yves Boulogne qui, faisant sa petite enquête, découvrit rapidement que c’était sur l’instigation de mon protecteur, que cette décision était sur le point d’être signée.

 

         Les deux hommes eurent des mots durs l’un envers l’autre et Yves Boulogne, consentant à regret à ma mutation du Kef, s’opposa à ce qu’elle se fasse dans un établissement de Tunis.

 

         Je fus donc muté, une première fois, au lycée de jeunes filles de Zaghouan.

         

         Comme Néjette et moi avions rapidement constaté que mon seul salaire  ne suffisait pas à nos besoins, j’avais demandé à mon oncle Tahar qui était directeur central au ministère de l’agriculture, de m’aider à lui trouver du travail et Néjette fut rapidement recrutée comme seconde secrétaire de mon quasi-ministre d’oncle. Mon frère Bédye, pour contribuer à alléger mes dépenses, nous invita, quant à lui, à venir partager l’appartement qu’il louait à Mont Fleury.

 

         Ainsi, ayant été muté à Zaghouan, je ne me voyais pas du tout y louer un second logement, et j’obtins de mon directeur de collège un regroupement horaire, à même de réduire ma charge hebdomadaire de travail à trois jours ; ce qui me permit de faire la navette entre Tunis et Zaghouan, seulement deux fois par semaine.

 

         J’aurais pu me satisfaire de cette situation qui, somme toute, n’était, ni désagréable ni trop lourde de retombées financières, l’essence étant encore, en cette période, assez bon marché. Mais, le match qui opposait mon protecteur Monsieur  Mohamed Mongi Haddad et mon ennemi juré, l’inspecteur principal Yves Boulogne, avait pris une tournure qui m’était favorable.

         

         En effet, au cours d’une séance de travail réunissant notre nouveau ministre et mon protecteur, celui-ci exposa mon cas, relatant, que j’avais été  son meilleur étudiant, que j’avais poursuivi mes études supérieures à Paris, qu’Yves B cherchait, coûte que coûte à me nuire, ajoutant que j’étais le fils d’un avocat, ancien Kéhia du royaume, tombé en disgrâce en 1955 [1] ; s’en suivit un coup de théâtre, inespéré pour moi ; et mon protecteur, m’ayant invité par téléphone à passer le voir,  il m’annonça tout souriant que j’étais muté à Tunis, au collège de la Nouvelle Ariana, où je courus prendre contact avec un charmant directeur à la veille de la retraite.[2]

 

         Je fus assez satisfait de mon passage, trop court, à ce collège situé à  un quart d’heure de route de Mont Fleury où je résidais, mais je devais, là encore, avoir affaire avec l’inspecteur principal Yves Boulogne, qui ayant la dent dure et la rancune tenace, ne désespérait pas de parvenir à ruiner ma carrière.

 

         J’étais alors à ma troisième année d’exercice de professeur stagiaire et mes capacités pédagogiques devaient être évaluées au cours d’une inspection formelle réalisée par un inspecteur et donnant lieu à un rapport circonstancié ; celui-ci devait comprendre en conclusion, soit une appréciation positive valant proposition de titularisation dans mon grade de professeur, soit une appréciation mitigée débouchant sur une prorogation de stage d’une année, soit encore une note négative, proposant une sanction, pouvant aller jusqu’à la radiation…

 

         Bien entendu l’inspecteur principal, qui n’était pas né de la dernière pluie, ne voulant pas donner prise à un quelconque protecteur pouvant remettre en question sa propre évaluation de mes capacités, fut assez retors pour dénicher l’inspecteur idoine à même de se charger de ses basses besognes et il désigna Monsieur Hamadi Annabi qui avait été mon professeur à Ksar Saïd, et qui venait d’être promu inspecteur stagiaire, pour procéder à mon inspection.     

 

         Monsieur Hamadi A, c’était ce professeur qui m’avait privé de ma place de major de promotion, en se mêlant de ce qui ne le regardait pas, ce qui avait failli me coûter ma place pour Paris et envers lequel j’avais eu des mots durs, l’accusant, à raison, de vouloir favoriser mon camarade Mohamed Aref  S à mes dépens ; et je suis convaincu que son patron direct, en le chargeant de me faire un sort, n’eut pas besoin de beaucoup insister pour l’amener à vouloir me nuire...

 

         D’autant plus qu’en le chargeant de cette mission qu’il n’était légalement pas habilité à assumer, n’étant encore lui-même que stagiaire, il lui faisait  une fleur, (tout en commettant un acte irrégulier, …). 

 

         Toujours est-il, que l’inspection eut lieu dans conditions déplorables, puisque mon inspecteur stagiaire, au vu de ma très bonne prestation pédagogique, ne put qualifier  celle-ci autrement, et ce, en présence du directeur, comme il était d’usage de procéder.

 

         L’entretien consécutif à l’inspection de terrain, se déroulant correctement, dans le bureau du directeur, celui-ci et moi-même, nous contentions d’écouter en silence, l’évaluateur jusque là, élogieux

 

         Mais soudain, Monsieur Hamadi A sembla réaliser qu’il était pris entre le marteau de sa conscience qui venait de parler… et l’enclume Yves B qui l’avait mandaté pour me saborder et non pour me louer. Il se mit à bégayer très fortement, (ce qui lui arrivait déjà du temps de Ksar Saïd, surtout quand il se trouvait dans une situation stressante), et il commença à essayer de justifier le fait qu’il allait devoir m’accorder une note légèrement inférieure à la moyenne…

 

         A ces mots, en contradiction totale avec les 4/5 de l’évaluation qu’il venait de faire de ma prestation, c’est le directeur lui-même qui lui dit  « ne pas comprendre cette évaluation chiffrée qui ne reflète en aucun cas le discours qui vient de la précéder… ».Monsieur l’inspecteur, se mit à me tutoyer tout en s’adressant au directeur par ricochet, et à me rappeler que nous avions toujours eu de bonnes relations, et que dans ces conditions, je ne pouvais pas penser un seul instant qu’il était capable d’injustice envers moi.

 

         L’ayant presque pris en pitié à le voir s’empêtrer ainsi dans ses explications oiseuses dont il ne pouvait même pas se convaincre lui-même, je ne disais rien, ce qui incita mon directeur à me bousculer, et à presque m’engueuler en me disant : « Mais défendez vous monsieur Haouet ! N’êtes-vous pas capable d’argumenter, votre propre point de vue? »

 

         Je lui répondis avec calme que cela ne servirait strictement à rien ici et que Monsieur Hamadi A, inspecteur stagiaire, envers lequel j’avais un certain respect, avait reçu des instructions claires visant à me nuire et qu’il était là, pour cela et rien que pour cela, mais que je ne me laisserai faire, ni par lui, ni par son mandataire français,  Yves B.

 

         A ces mots, l’inspecteur se mit à suer à grosses gouttes et à multiplier les dénégations, nous assurant de sa bonne foi, puis prenant précipitamment congé, il nous laissa seuls au bureau. Je pris congé à mon tour après avoir demandé à mon directeur, s’il était d’accord pour contresigner un document dans lequel je rejetterais les conclusions de cette évaluation et surtout sa note chiffrée, tout en fournissant un argumentaire détaillé ; il se déclara disposé à le faire, sous certaines conditions…

 

         Je devinais lesquelles et je partis en le remerciant.

 

         Le lendemain matin je n’avais pas cours, mais à 9 heures, je me présentai au bureau du directeur et je soumis à celui-ci, non pas un seul rapport mais deux. Je lui remis d’abord une double feuille de papier ministre, sur laquelle j’avais assez succinctement résumé le déroulement de ma séance, ainsi que l’entretien qui avait eu lieu en son bureau et avec sa participation active, et je lui dis que j’étais sûr qu’il n’aura aucune objection à contresigner ce premier rapport de suite, mais que je préférais qu’il prenne d’abord le temps de lire un deuxième document qui lui permettra de mieux comprendre les  raisons de l’incohérence du discours de monsieur Hamadi A.

 

         Ce deuxième document comprenait plusieurs doubles feuilles papier ministre et rapportait le détail de mes multiples rencontres avec l’inspecteur principal Yves Boulogne et d’abord la première, au cours de laquelle il m’avait pris pour l’un des coopérants français qu’il attendait, ainsi que les confidences racistes qu’il s’était cru autorisé à me susurrer au sujet des bicots dont il se proposait de m’éviter la promiscuité… Suivaient toutes les autres péripéties, la désinformation concernant la piscine de Sousse, la tentative avortée de ce charlatan raciste et de mauvaise foi[3] de procéder à mon inspection irrégulière alors que je n’avais que quelques mois de carrière… les diverses mutations qu’il m’avait fait subir, pour se venger de la défaite déontologique que je lui avais fait subir en présence du censeur du lycée de Sousse… ; et je finissais, en signalant la dernière irrégularité qu’il venait de commettre, en faisant un cadeau empoisonné à un inspecteur stagiaire en le chargeant de procéder à une inspection de titularisation, contrairement aux textes en vigueur qui exigeaient pour cela un inspecteur titulaire…

 

        Comme ce second rapport était trop long pour que je l'oblige, même indirectement, à en prendre connaissance de suite, je lui proposais de le lui laisser à lire tranquillement avant de me dire ce qu'il en pensait et je pris congé...

 

  

 

    

    Mon directeur feu Monsieur Gouta, me fit téléphoner l’après midi même, par sa secrétaire, qu’il me demandait de passer le voir aussi vite que je pourrais…..Et lorsque je me présentais à lui le lendemain, il me fit aimablement servir un café et me complimenta, en me souriant, pour ma grande  maîtrise de la langue française, puis, d’un air un peu plus grave, me dit qu’il n’avait rien relevé dans le premier rapport qui puisse l’empêcher de le contresigner et le transmettre, mais qu’il me suggérait de supprimer les injures que j’avais proférées à l’endroit de Yves B sur le deuxième rapport (qu’il n’avait néanmoins pas à cautionner) ; "non pas que ces qualifications soient injustifiées, mais simplement inutiles, mon talent épistolaire suffisant amplement à convaincre... ; il me dit qu’elle pouvaient me nuire, plus que servir ma cause.." 

 

    Devant mon refus poli de suivre son conseil, il me reconduisit à la porte de son bureau en me disant que j’avais la tête aussi dure que celle de son fils[4], et il murmura à notre double intention, un vœu : Allah Youstourkom Min  aouled Ilharam [5]!!!

 

    Nous étions alors au tout début du second trimestre de l’année scolaire 65/66 et il était écrit, qu’après avoir passé le premier trimestre à Zaghouan et entamé le second à l’Ariana, mon record, en matière de mutations, en une seule et unique année, allait encore s’améliorer[6]…  

 

    Nous connaissions alors la grande mode des mouvements d’ensemble scolaires, au cours desquels quelques milliers de jeunes sélectionnés dans divers lycées et collèges devaient présenter,  à la fin de l’année, une série de tableaux adaptés (par un professeur tchèque) et mettant en scène les progrès incessants  que connaissait le pays, sous l’impulsion providentielle du Combattant Suprême… et le buste bombé de celui-ci était souvent composé dans l’un ou l’autre de ces tableaux où jeunes filles et jeunes garçons dansaient et utilisaient dans un bel ensemble, plusieurs accessoires les uns plus spectaculaires que les autres…

 

     Certains établissements commençaient la préparation de ces mouvements d’ensemble, mais ne la menaient pas à terme, faute de réalisation de progrès suffisants dans cette préparation ; ce fut le cas, cette année là, pour le collège de la Nouvelle Ariana qui, n’ayant commencé ces répétitions qu’au cours du second trimestre, n’y avait pas suffisamment progressé pour pouvoir fournir les éléments hautement représentatifs requis, pour la sélection finale.

 

         

 

         Par contre au collège de garçons de Radés, les élèves avaient été bien préparés jusque là, mais, l’état de leur professeur, le malheureux Ridha S,  atteint de rétinopathie diabétique,  avait  subitement dégénéré et il commençait à perdre la vue…cet état de choses fit que l’un des épisodes du match se déroulant entre mon protecteur M.M. H. et mon ennemi juré Yves B, eut à connaître un résultat mitigé :

 

         On décida qu’il ne me sera pas tenu grief pour les injures contenues dans mon dernier rapport envers Yves B  et que le pseudo rapport d’inspection, commandité pour me nuire, sera jeté aux oubliettes ; mais qu’après avoir remplacé mon ami Antar Souid hospitalisé pour bronchite aigue au Kef, j’allais devoir remplacer, à Radés, le malheureux Ridha S, frappé de cécité et ce, par nécessité de service !!!

 

         Cette nécessité étant bien entendu concédée à mon inspecteur malveillant.

 

    Et bien entendu, à Radés, j’eus de nouveau, affaire à la mauvaise foi de cet inspecteur charlatan et magouilleur par excellence…

 

    Je faillis d’abord procurer à ce dernier le plaisir de lui offrir ma démission, à la réception de ma troisième décision de mutation, mais c’est ma mère qui parvint à m’en dissuader, en me disant qu’alors, non seulement, je me serais déclaré battu par le larbin de Mzali qu’elle abhorrait autant que moi, mais qu’en plus, notre situation familiale, tant matérielle que morale serait davantage fragilisée par cette démission.

 

     Aussi, contraint et forcé, je me présentais en plein deuxième trimestre au collège de Radés pour remplacer le malheureux Ridha S qui, ne voyant pratiquement plus, me reconnut à la voix au cours de la petite séance de passation de service que nous eûmes en présence du directeur du collège.

 

     Je fus très bien accepté par mes nouveaux élèves dont certains m’avaient vu jouer contre l’étoile sportive de Radés où évoluaient alors les trois frères Snoussi dont j’étais un grand ami et un adversaire coriace. J’étais encore en excellente condition physique et il m’arriva par ailleurs de disputer des matchs de handball, de volley-ball ou de basket au sein de l’une ou l’autre des équipes de mes élèves, pendant leurs entraînements ; ces équipes se disputaient âprement ma participation qui équivalait pour eux, à une victoire…

 

    Je me débrouillais d’ailleurs tellement bien en matière d’entraînement, que je parvins à faire qualifier trois équipes du collège aux demi-finales des championnats scolaires, largement aidé en cela, par les aptitudes physiques de mes élèves.

 

     Mais si au plan professionnel, je semblais connaître une embellie, au plan familial les choses tournaient de nouveau au drame ; papa avait écorché son gros orteil, tout bêtement par le simple port d’une paire de chaussures neuves et cet orteil commençait à poser problème…

 

    Néjette qui connaissait tous les médecins de l’hôpital  Ernest Conseil, (l’actuel Rabta), me conseilla de l’amener à la consultation du docteur Nourreddine Hajri, un chirurgien reconnu qui, après avoir été informé de l’antécédent de l’anthrax mal soigné, commença d’abord par nous conseiller de procéder à l’ablation de l’orteil enflé qui tardait par trop à cicatriser.

 

    Malheureusement, il se ravisa rapidement et demanda à avoir l’avis d’un nutritionniste et d’un second chirurgien. Consulter ces deux médecins, prit deux ou trois jours et l’ablation de l’orteil eut lieu sitôt après, mais le nutritionniste ne parvint pas à régler le diabète et le processus de cicatrisation refusa de démarrer…

 

     Les équipes scolaires étaient alors en train de disputer les demi-finales et à la fin du match qui opposait mon équipe cadette de handball, à l’une de ses homologues tunisoises, le professeur de cette dernière, ayant perdu le match, déposa des réserves sur la participation de mon capitaine qu’il accusa de jouer avec une licence falsifiée, affirmant que ce joueur évoluait le dimanche, en sport civil, en juniors et non pas en cadets…

 

     Etant préoccupé, plutôt par la santé de mon père, je ne m’inquiétais pas outre mesure lorsque l’enquête déboucha sur la confirmation de la falsification, l’équipe adverse s’étant débrouillée pour fournir un extrait de l’acte de naissance de mon élève qui avait effectivement triché sur son âge, nous perdîmes le match sur le tapis ! J’étais quand même un peu furieux contre cet élève qui avait ainsi empêché ses camarades de remporter une victoire largement à leur portée, même sans sa participation, et je le sermonnai assez violemment en présence de ses camarades.

 

     Quelle ne fut ma surprise en le voyant se taire et baisser la tête, faisant signe à ses camarades de ne rien dire…Deux de mes joueurs s’avancèrent cependant vers moi et m’apprirent que c’était mon malheureux prédécesseur Ridha S qui, au début de l’année scolaire, lui avait demandé, en leur présence, de falsifier son certificat de naissance, pour pouvoir le faire jouer encore une année en catégorie cadet, tout en lui assurant qu’il n’aurait aucun ennui et qu’en cas de besoin, il le couvrirait personnellement !! J’étais à tel point abasourdi et indigné, que j’eus envie d’aller voir le directeur pour lui rapporter ces faits.

 

    Mais très vite, je me dis que ce n’était pas encore ce jour là, que j’allais me mettre à jouer au délateur, en dénonçant, en plus, un malheureux  collègue devenu mal voyant.

 

    Mais les voies du Seigneur sont tellement impénétrables à notre pauvre entendement humain qu’encore aujourd’hui, je n’arrive pas à comprendre les raisons pour lesquelles c’est ce même collègue, qui a cru devoir informer le responsable de l’équipe adverse de la falsification de licence, dont il avait été lui-même à l’origine…En effet, je mis un certain temps pour apprendre cette manœuvre pour le moins louche mais je finis par l’apprendre[7]… 

 

     L’état de santé de mon père devenant plus préoccupant, je dus prendre quelques jours de congé pour mieux m’en occuper et, sur les conseils de mon oncle Tahar, nous le fîmes admettre à  l’hôpital Charles Nicolle dont le directeur était un camarde d’école et un ami de mes oncles Mohamed et Tahar. Papa eut droit, au début, à une chambre individuelle de VIP où maman put lui tenir compagnie toute la journée et superviser les soins et l’hygiène ; le directeur alla jusqu’à faire amener des fleurs qu’il faisait changer tous les deux jours et l’état de papa sembla se stabiliser, le nutritionniste lui accordant toute l’attention  nécessaire… 

 

    De retour à mon collège, j’appris sans réelle surprise que le super inspecteur Yves B, s’était donné lui-même la peine de se rendre sur place pour un complément d’enquête au sujet de la fameuse falsification de licence, alors même que les sports scolaires ne faisaient nullement partie de ses attributions et qu’ils relevaient de l’autorité de services distincts, totalement autonomes…

 

     Le directeur, complètement dépassé par les évènements, semblait inquiet et, en m’informant des détails de la visite de Yves B, me tenait un discours, un tant soit peu agressif, ayant l’air de me reprocher quelque chose dans cette histoire…Piqué au vif et n’étant pas du tout disposé à jouer au bouc émissaire, je lui adressai une série de questions (qui n’en étaient pas), le tout sur un ton sec, énervé et plus qu’ironique:

 

     Monsieur le directeur, savez-vous que vous avez vous-mêmes contresigné cette falsification ?... (Il essaya de répondre mais j’enchaînais sans lui en laisser la possibilité)…que cette licence a été élaborée par mon prédécesseur au moins trois bons mois, avant mon arrivée dans votre collège ?…Avez-vous pensé à le dire à cet inspecteur de mauvaise foi, qui, lui, le sait pertinemment ?! Lui, qui est venu s’occuper de ce qui ne le regardait pas  pour essayer de me coller sur le dos des irrégularités commises par d’autres ?! Irrégularités dont vous assumez vous-mêmes une certaine responsabilité, ayant contresigné cette licence, (comme le veut le réglement) et que vous avez en outre, l’air de me reprocher, par votre attitude et par le ton que prenez pour me parler de cette intrusion hypocrite d’un charlatan raciste qui n’a pas dû, en outre, se priver de vous traiter comme un écolier pris en faute !?

 

     A chacune des phrases  de cette diatribe, mon ton se faisait un peu plus cassant et un peu plus énervé ; je rageais contre l’inspecteur (que je n’aurais sans doute pas hésité à insulter s’il avait été là) ; mais j’en voulais également au directeur pour son manque d’honnêteté ou au moins son manque d’a propos, pour n’avoir pas pensé à souligner aux yeux de ce sombre individu que je n’étais en rien concerné par cette infraction et pour n’avoir pas su que ce raciste d’inspecteur n’était en rien concerné par cette sombre question…

 

    Le directeur quant à lui, habitué peut-être, à avoir en face de lui des enseignants, plutôt obséquieux, qu’emportés voire agressifs à son égard, n’était pas fier de son manque de lucidité et, tout en me trouvant quelque peu irrespectueux, semblait mieux prendre conscience de la situation et voulut bien reconnaître ses torts…Il me répondit d’un ton résigné[8] : « Croyez moi, Monsieur Haouet,  je prendrais tout sur moi et vous n’aurez aucune responsabilité à assumer dans cette triste affaire. »  

 

     A la fin de ma journée de travail, je revins le voir pour lui annoncer que je devais prendre 15 jours de congé sans solde pour convenance personnelle et je lui remis dans ce sens, une demande adressée à mon ministre que je lui demandais de transmettre.

 

    Quelques temps auparavant, j’avais déjà pris quatre jours de congé, pour maladie, grâce à un certificat médical de complaisance que le docteur Nourredine H avait bien voulu me délivrer pour me permettre de m’occuper de papa ; le directeur ne sachant pas que mon père était gravement malade, pensait que je réagissais à ce qui s’était passé quelques heures auparavant dans son bureau et il essaya de me dissuader de prendre ce congé.

 

     Mais, tout en essayant de ne pas être trop discourtois envers lui, je lui dis d’un ton ferme, que cette affaire de falsification n’était pas le motif essentiel de ma demande et je l’invitais à prendre connaissance du contenu de ma demande…

 

    Dans cette demande, assez longue parce que j’avais jugé prudent d’anticiper tout mauvais coup d’Yves B que j’avais appris à connaître mieux que quiconque, j’avais demandé 15 jours pour m’occuper de mon père gravement malade, tout en joignant des documents de l’hôpital ; j’avais également signalé cette histoire de falsification qui tombait aussi mal à propos, et que certaines âmes charitables essayaient de me mettre sournoisement sur le dos. Je rappelais que les licences se préparaient en début d’année, que ma mutation dans ce collège avait eu lieu bien après ; et je conclus, en me demandant que dans ces conditions, connues dans leur plus petit détail par Yves B, pourquoi celui-ci s’était-il rendu auprès de mon directeur pour le persuader de me faire porter le chapeau.

 

    Je pris bien entendu la précaution de passer à l’administration centrale pour résumer les faits à l’intention de mon protecteur MMH ; et je lui confiais copie de ce document…

 

    J’avais été bien inspiré de prendre ces précautions, puisque dans les dix jours qui suivirent, je reçus, coup sur coup, deux décisions administratives, sans que j’eusse le loisir d’y réagir, préoccupé que j’étais par l’état de santé de papa qui s’était brusquement aggravé.

 

     Je reçus le premier document au moment où papa essayait de se remettre de sa deuxième amputation.

 

     Son orteil avait en effet continué à devenir de plus en plus purulent et était passé du bleu au gris foncé ; le docteur N H, après un examen minutieux des veines et artères de la jambe, et sur l’insistance  désespérée de papa, avait décidé de procéder à l’ablation de tout le coup du pied en préservant un moignon, au bas du tibia, pour la fixation ultérieure d’une prothèse, et ce, au cas où la gangrène ne passerait pas ce cap… 

 

    Cette deuxième amputation nous accorda un petit répit et les choses semblèrent devoir s’améliorer, papa ne refusant plus systématiquement de s’alimenter et allant même jusqu’à demander que nous lui apportions des journaux  et des romans. C’est au cours de ce répit que le directeur de l’hôpital est venu nous voir pour nous dire d’un air contrit, qu’il était obligé de transférer Sidi Hmeïda de la chambre individuelle à une autre, très confortable qu’il n’aurait à partager qu’avec deux autres messieurs très convenables.[9]

 

     Effectivement, la chambre était acceptable et les deux messieurs tout à fait convenables ; papa passa en leur compagnie des moments assez agréables et il s’avéra qu’ils avaient plusieurs amis communs.

 

     Et c’est au cours de ce répit que papa apprit, sans doute par manque de vigilance de maman, qui était totalement déstabilisée, que je venais de recevoir la notification d’un blâme !!!

 

    Papa en fut bouleversé. Il savait à quel point j’aimais le métier que j'excerçais et il savait que cet hypocrite doublé de raciste voulait m’esquinter ; et il était ulcéré de ne rien pouvoir faire pour me protéger de la rancune et de l’injustice de cet Yves B, inspecteur principal charlatan, mais néanmoins omnipotent…Et l’une des rares consolations que je pus offrir à mon malheureux papa a été de lui lire, et de lui monter cinq jours plus tard, le deuxième document officiel sur lequel Maître Mondher Ben Ammar, mon ministre d’alors, avait élégamment ajouté quelques mots manuscrits…

 

     Il s’agissait de l’annulation du blâme et de quasi excuses officielles pour la méprise survenue à votre égard et révélée imputable à autrui.

 

    Un deuxième document était joint à cette annulation, c’était la réponse à ma demande de congé. Celui-ci m’était accordé, non pas pour convenance personnelle, donc sans solde, comme je l’avais demandé, mais sur décision exceptionnelle du ministre, pour réparation de préjudice subi.

 

    Et c’est sur cette décision de congé, que mon ministre avait eu l’élégance d’ajouter d’une belle écriture à l’encre bleue marine[10]« Mes amitiés à votre père, mon honorable confrère avec mes vœux de prompt rétablissement » puis, plus loin : « Si Taoufik, passez me voir,  quand vous le pourrez.»



[1] Ayant été amené par la suite à rencontrer assez souvent, ce  véritable gentlemen, lui-même fils d’une très grande famille tunisoise, avocat de son métier, et ayant eu de plus, certaines raisons de ne pas beaucoup apprécier le Combattant suprême, j’ai compris que c’était surtout cette  évocation de la disgrâce  qu’il savait avoir été injuste pour plusieurs Caïds et Kéhias de sa connaissance,  qui l’avait décidé à donner suite à la démarche de mon protecteur…

[2]Monsieur Mongi Gouta.

 

[3] Je n’avais pas hésité à qualifier ainsi par écrit cet inspecteur français dans ce rapport officiel adressé à un ministre. Et la preuve que ces qualificatifs étaient justifiés, c’est que je n’eus pas à en subir de conséquences réellement fâcheuses…

 

[4] Ce fils qui avait presque mon âge, a été un excellent sportif, joueur de handball,  aussi stylé qu’efficace.

 

[5] Dieu vous protège des gens du mal ; littéralement  des enfants du pêché !!!

 

[6] J’ai collaboré plus tard en tant que responsable au ministère ; et jamais, à ma connaissance, aucun professeur n’a eu à être muté deux fois durant la même année, a fortiori quand il s’agit de mutation décidée en dehors de la volonté de l’enseignant!

 

[7] Ridha S, devenu presqu’aveugle,  avait été curieusement chargé de travaux administratifs au sein du service des sports scolaires après avoir été remplacé (par moi-même) au collège où il enseignait depuis de longues années ; et c’est au cours d’une visite  à ce service, effectuée par mon futur adversaire, (par équipes interposées de handball), que mon prédécesseur a cru devoir lui faire cette curieuse confidence ; celui qui me rapporta ces faits plus tard, n’était autre que mon ami Antar S qui avait abandonné au cours de notre 1500m de fin d’examen, celui la même que j’eus à remplacer au Kef suite à sa pneumonie….

 

[8] De tout temps, les chefs d’établissements ont toujours eu une peur bleue des problèmes administratifs, surtout lorsque quelque chose peut leur y être reprochée ; et là, il s’agissait d’un acte de falsification qu’il aurait pu empêcher avec davantage de vigilance dans l’examen de l’acte de naissance trafiqué

 

[9] Durant les années 60, il n’y avait pour ainsi dire, pas de cliniques privées suffisamment équipées pour des opérations lourdes et les chirurgiens refusaient d’opérer en dehors des hôpitaux publics.

 

[10] Presque tous les ministres (nombreux) avec lesquels j’eus à collaborer par la suite, ont utilisé une encre verte, aussitôt mimés en cela par de nombreux directeurs d’administration centrale. Monsieur Mondher Ben Ammar. que j’eus le plaisir et l’honneur de seconder en qualité de collaborateur apprécié pendant plusieurs années, a  quant à lui, toujours préféré l’encre bleue Waterman…Je ne sais s’il en a changé par la suite …

 

 

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