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15 avril 2011 5 15 /04 /avril /2011 22:59

 

Dans les lignes qui vont suivre, je vais m’employer à souligner

certains errements éminemment connus, ainsi que d'autres qui, l'étant beaucoup

moins, n'en sont pas moins véridiques  du Combattant Suprême, Habib Bourguiba

autoproclamé 'Combattant Solitaire', ayant forcé tout seul, La France à

accorder son indépendance à la Tunisie qu’il va s’employer, pendant trente ans

de pouvoir absolu, à gérer comme si le pays et ses habitants étaient sa chose

propre …et qu’à l’instar de tous les despotes et autres tyrans, passés et actuels,

de tous les pays, notamment arabes[1], il avait le droit d’en user et d’en abuser

comme bon lui semblait.

 

Le rapport du professeur El Ksantini, ainsi que les analyses historiques qui l’ont précédé ici, ont suffisamment explicités le comportement constant de ce patriote Hmeïda Haouet, fils, petit fils et arrière petit fils de tisserands de Nabeul, ayant fait ses classes, y compris en matière de nationalisme et de rejet de l’injustice, au sein du fameux Collège Sadiki qui a formé l’élite tunisienne et ayant œuvré sans relâche, avec d’autres vrais patriotes, à l’émancipation du pays, jusqu’à son indépendance, n’en déplaise à Bourguiba qui n’a jamais été le Combattant Solitaire qu’il prétendit avoir été.

 

Les propos de mon père et ses prises de positions, que j’ai pu entendre et observer moi-même à l’âge de 12 ans, et qui sont incrustés de façon indélébile dans ma mémoire, sont en tous points conformes aux descriptions qui en ont été faites dans les documents ci-dessus ; et il suffit que je ferme les yeux pour revoir les traits tirés de mon père et sa colère rentrée, lorsque, revenant à la maison, après une dure journée, il se mettait à confier à mi-voix à ma mère, sa rage et son désespoir de voir la région à feu et à sang, et à pester contre le contrôleur civil, qu’il qualifiait souvent de « criminel né » ainsi que contre la passivité de l’administration centrale tunisienne face aux malheureux événements de cet hiver 1952, durant lequel tant de Tunisiens ont été massacrés et d’autres, encore plus nombreux, bafoués dans leur honneur de citoyens… 

 

Et encore aujourd’hui, je suis ulcéré de la manière dont Bourguiba, aussitôt le pied à l’étrier, a cru devoir remercier ce patriote, fils, petit fils et arrière petit fils d’enfants du peuple tunisien, en le mettant à "la retraite d'office", c'est-à-dire au chômage, sans aucune indemnité, par une simple décision administrative, non seulement injuste, mais qu’il n’a même pas cru devoir justifier en homme de droit, qu’il se devait d’être…

 

Mais, Bourguiba se prenait déjà, en ces toutes premières années de pouvoir grisant, pour #Françoisle_Premier ou pour le  Roi Soleil et prétendait dire La Loi, la seule valable, sans qu’il éprouvât le besoin de justifier quoi que ce soit  !!! Car tel était son bon plaisir et telles étaient surtout ses fausses certitudes ; même les interventions de Mohamed Saad, président de la cellule destourienne  de Nabeul, et celles d’Abdesslem Dimassi son adjoint, puis son successeur en cette responsabilité, n’ont pu faire changer d’avis Bourguiba et faire admettre à ses yeux, le patriotisme sans faille de mon père, lors de la visite triomphale que le « Zaïm » fit à Nabeul en ce 2 décembre 1955.

 

Même Mahmoud Messâdi, qui eut parfois l’occasion d’observer, directement, les comportements de mon père et les nombreuses altercations qu’il eut avec les officiers de l’armée et avec le contrôleur civil, lors de ses visites à Tazarka et de les entendre relater, d’autres fois, par sa famille vivant sur place, et par d’autres patriotes de Korba, Hammamet ou Nabeul, même ce grand Messâdi, devenu proche collaborateur de Bourguiba, n’a pu faire admettre à ce dernier, que parmi les fonctionnaires du gouvernement sous ce protectorat, instauré en dehors de leur volonté, il y avait des Tunisiens aussi patriotes, sinon plus que d’autres, et que Hmeïda Haouet, dont il avait personnellement observé les réactions aux abus du colonialisme, comptait parmi ceux là et ne méritait pas d’être remercié de cette façon cavalière et profondément injuste.

 

Bourguiba répondait invariablement, aux uns et aux autres, je les connais, ces collabos, ils sont  tous aux ordres des contrôleurs civils, je les ai vus à Monastir et ailleurs…[2]

 

Ces fausses certitudes de Bourguiba étaient tellement tenaces, déjà au début de ses premières années de pouvoir jouissif et enivrant, qu’il n’hésitait pas à écarter (voire même à faire éliminer) nombre de patriotes et de compagnons de combat, ayant osé avoir un avis contraire ou même différent du sien !

 

Ses certitudes devenaient de plus en plus ancrées (et sclérosées), au fil de son long parcours de pouvoir solitaire, personnel, absolu et, de plus en plus, erratique qu’il n’hésitait pas à rejeter ses propres fautes de jugement et les soubresauts populaires qui en résultaient, sur ses ministres et d’autres conseillers, sans que l’idée ne lui vienne jamais à l’esprit, que c’était le "Grand Bourguiba", celui là même qui trouvait, et répétait à qui voulait l’entendre, que la Tunisie était un trop petit pays pour le Grand Génie, de ce Jugurtha qui a réussi, était en fait, le seul  et unique preneur de ces décisions malvenues et mal réfléchies. 

 

Allons donc, devait-il se dire, un Bourguiba, ça ne se trompe pas !!![3]

 

Et pendant son long règne sans partage[4], il eut largement le temps de faire des émules parmi ses courtisans, qui forts de son exemple, se mirent à le singer et à exproprier les citoyens à tour de bras de leurs biens, simplement en traçant les rues et les avenues ou encore les routes de corniches, avec de grands gestes du bras, au bout duquel, aucun d’eux ne se permit cependant, de mette une canne, à l’instar de leur maître…

 

Eux aussi se mirent à dire le droit, non pas celui que disent les juges et les assemblées législatives, mais tout simplement celui du plus fort, celui à qui personne, parmi ceux qui  sont là pour opiner de la tête et acquiescer,  n’est censé pouvoir opposer, ne serait-ce qu’une simple remarque, et encore  moins un avis différent…

 

Durant l’été 1956, une année après la mise en disponibilité de mon père, Sassi Lassoued, le chef fellaga bien connu, qui en avait fait voir de toutes les couleurs aux colons et aux soldats français avec sa milice de l’Ouerdanine, installa sa famille pour des vacances en bord de mer dans la maison du Cadhi Slimène ayant un mur mitoyen avec la notre.

 

Salah Ben Youssef venait de se faire assassiner en Allemagne depuis peu, et mon imagination d’adolescent me faisait craindre que Bourguiba ne chargeât  Sassi Lassoued d’éliminer mon père et toute sa famille durant notre sommeil ; je me disais que ce ne pouvait pas être par pur hasard, qu’il ait choisi, entre toutes les maisons de la plage, celle quasi-jumelée  à la notre, pour y passer des vacances ; et il m’arrivait de rester éveillé tard la nuit, guettant l’arrivée du fellaga, mon fusil  harpon armé glissé sous mon lit, tout prêt et bien décidé à lui en  planter la flèche d’acier, en plein cœur.

 

Mais, quelle ne fut ma surprise de le voir un matin, très tôt, assis sur le sable, en train de discuter avec un autre homme, aussi brun de peau que lui, et qui devait être un ancien combattant de sa milice, et d’entendre distinctement ce qu’ils disaient ; ils étaient tous les deux en train d’injurier le Raïs !! Je ne pouvais en croire ni mes oreilles, ni mes yeux.

 

Ce ne fut que quelques temps après, que je compris la raison de leur ressentiment, lorsque j’entendis Bourguiba se raconter à la radio, comme il n’arrêtait pas de le faire, ridiculisant les uns et humiliant les autres au passage, tout en se donnant le beau rôle, celui du chef irréprochable et de l’homme politique aux idées les plus sûres et les plus progressistes !! 

 

La victime, qu’il s’était choisie ce jour là, était justement Sassi Lassoued.

 

Bourguiba, riait aux éclats, en rapportant une discussion qu’il avait eue alors, avec le chef fellaga  et sans montrer l’ombre d’une reconnaissance envers ce combattant valeureux, qui, avec ses compagnons, n’avait pas hésité à risquer sa vie et la leur, pour défendre la patrie, le président, en bon comédien qu’il était, expliquait en pouffant : Sassi Lassoued aurait voulu être nommé par le Raïs aux fonctions de gouverneur, pour services rendus à la Nation !

 

Puis en grand metteur en scène, Bourguiba entrant dans la peau du Grand Président conscient de l’importance des fonctions de gouverneur de ces années là[5], expliquait au peuple qu’il avait, bien sûr,  dû lui refuser cette nomination, parce que Sassi Lassoued ne savait ni lire ni écrire ; il faillit s’étouffer de rire, en rapportant que le fellaga lui aurait répondu  et alors Sayed El Raïs, il suffit de me donner un bon secrétaire !!! Comme si nombre de ses premiers gouverneurs n’auraient pas eu eux-mêmes, besoin de ce bon secrétaire…

  ***

Il y a deux ans, en janvier 2004,  j’ai acheté un ouvrage luxueux et bien fait sur les Beys de Tunis, pour l’offrir en cadeau d’anniversaire à mon épouse Alia qui s’intéresse à cette question parmi d’autres. Et, en feuilletant cet excellent ouvrage de l’universitaire Mokhtar El Bey, je suis tombé en arrêt à la vue de quelques photos d’époque, de Bourguiba et de Lamine Bey !

 

Je fus d’abord dérouté par le fait que Lamine Pacha Bey et Habib Bourguiba, alors  Grand Vizir de la Régence, aient eu tous les deux, les mêmes beaux yeux, d’un bleu ciel clair ; mais en les examinant de plus près, une différence de nature me frappa de plein fouet, les yeux de l’un étaient pleins de sérénité et dégageaient une grande bonté ; ceux de l’autre semblaient révéler une personnalité tourmentée, voire torturée, par une grande soif de pouvoir et une grande impatience de pouvoir l’étancher. 

 

Page 81 de ce bel ouvrage[6], je pus examiner deux autres photos ; sur celle de droite, Habib Bourguiba, Grand Vizir de Lamine Pacha Bey, apparait le buste légèrement penché, serrant respectueusement la main au prince Hassine Bey, héritier présomptif du trône à qui il adressait un sourire se voulant charmeur.

 

Sur celle de gauche, le Combattant suprême est debout, mais cassé en deux, courbant largement l’échine au risque de faire tomber le fez rouge qu’il portait sur la tête ; il était au rapport devant Lamine Pacha Bey assis confortablement dans un fauteuil profond du salon de réception du Palais de Carthage ; le large sourire affiché par Bourguiba, sa posture soumise à l’écoute des recommandations bienveillantes du souverain, ainsi que le nichène el iftikhar de la régence qu’il portait ostensiblement au col, tout en lui dénotait de son allégeance entière au Pacha Bey de Tunis…

 

En voyant ces documents, je me dis que Bourguiba, s’il y avait pensé, aurait certainement fait détruire toutes les photos où il apparaissait en ces attitudes, somme toute, normales, de respect envers un monarque ou un prince, mais qu’il s’évertuera plus tard de nier avoir jamais eues envers la régence et ses princes, ni même envers le Bey lui-même.

 

Ce dédit étant d’ailleurs largement contredit par plusieurs de ses déclarations antérieures, à l’exemple de celle qu’il fit au journal le Monde, en juin 1955, à son retour de France, après avoir été reçu en audience par Lamine Bey  à Carthage : « Le peuple tunisien est très attaché à la famille beylicale, qui depuis deux siècles et demi incarne sa personnalité politique. Il n’oublie pas que ses princes ont largement aidé à la lutte de la nation pour la liberté…toutes ces souffrances en commun ont créé une solidarité profonde entre la nation tunisienne et la Famille régnante… »[7]

 

Page 85, sur une photo prise des deux hommes, pendant une réception à l’occasion de l’Aïd El Kbir, en juillet 1957, donc très peu de jours avant l’abolition de la monarchie, si le Bey avait toujours sa même attitude majestueuse et le même regard bienveillant, Bourguiba se tenait nerveusement figé, raide comme un général à la parade, son regard de rapace fixé sur sa proie, ce Bey qui le dérangeait tant, avec, non plus un sourire, mais un rictus, laissant affleurer toute a détermination qu’il avait alors de destituer le monarque, de monter sur son trône et d’occuper son palais…

 

Comme tout bon opportuniste, il avait fini de faire le beau et de multiplier les courbettes et les Sidna[8], par-ci,  les Sidna par là ;  il savait que son heure avait sonné et qu’il allait pouvoir écarter, voire écraser, tous ceux qui auraient la mauvaise idée de se trouver sur son chemin et de ne pas lui signifier clairement une allégeance pleine et inconditionnelle.

 

Il allait pouvoir donner carte blanche à tous les Marat et à tous les Robespierre tunisiens pour commettre tous leurs abus (au nom de la liberté  et de l’indépendance), abus qu’ils allaient, perpétrer sous sa direction toujours éclairée, et ne voulant, pour toujours, que le bonheur du bon peuple tunisien, ce peuple qui ne savait pas encore que son Roi était déjà un mort en sursis, et qu’il sera remplacé par un autre, qui à défaut d’être mieux éclairé, sera plus illuminé, plus arrogant, plus violent et plus grossier….

 

On rapporte en effet de source très bien informée que, même son fils spirituel et monastirien comme lui , Mohamed Mzali devenu  Premier Ministre, prenait toujours la précaution de vider sa vessie avant d’entrer au bureau de Bourguiba et recevoir ses directives ; il aurait même déclaré qu’il le faisait pour éviter de faire dans sa culotte, sous l’effet des regards assassins et des injures que Bourguiba, n’allait pas manquer de lui réserver.

 

Il est aussi notoirement connu, que le Grand Bourguiba avait coutume de lancer à  la tête de ses ministres, des noms d’oiseaux et même des encriers et autres objets, en plein conseils ministériels.

 

Autre fait moins connu mais tout aussi véridique, lors des préparatifs des festivités de l’un de ses anniversaires (le 3 août), Tijani Chelli, alors ministre de l’économie au cabinet Hédi Nouira, prit courageusement la parole pour suggérer qu’on réduise un tant soit peu les dépenses fastueuses prévues à cette occasion et que le conseil ministériel devait approuver (elles coûtaient, chaque année, plusieurs centaines de millions)

 

Bourguiba, vert de rage se mit à hurler, tiens donc, il y a ici quelqu’un  qui veut me dire ce que je peux faire et ce que je ne dois pas faire ??? Avant de se retourner vers Hédi Nouira et de lui hurler, ya Hédi fais sortir de ma vue cette face de grenouille…

 

Autre saillie vulgaire :  lors de l’un de ses discours hebdomadaires, les fameuses directives présidentielles  où il donnait libre cours à son talent d’orateur, il n’hésita pas à révéler au grand jour l’une des particularités de son anatomie intime déclarant crûment qu’il n’avait qu’un seul testicule en utilisant le terme vulgaire tunisien de korza (couille).

 

Pire encore, lors d’une autre de ses directives radiophoniques et télévisées, prêchant le contrôle des naissances, il stigmatisa le penchant du Tunisien moyen à avoir des relations sexuelles brutales et, le mimant de la voix et du geste, il devint carrément obscène, toujours en rigolant, en faisant à plusieurs reprises des gestes de fornication, les faisant accompagner de leurs ahanements quasi-bestiaux, provoquant des rires ahuris, mi amusés mi scandalisés du bon peuple…

 

Quelques années auparavant, Bourguiba  super président et Ben Salah, son super ministre, allaient engager la Tunisie dans l’un des avatars les plus indécents du bourguibisme, le collectivisme, planifié et dicté comme dans la plus pure république soviétique et déclencher l’avalanche de déboires économiques et sociaux sur lesquels les historiens n’ont pas fini d’ergoter ; pour ma part et en tant que jeune étudiant nabeulien, ce qui m’a marqué le plus, durant ces années noires de 67/68, c’est la mort de deux braves commerçants de Nabeul :

 

Mohamed Jemour était originaire de Ksar Helal, il tenait un grand établissement de vente de tissus et d’habits traditionnels, tels les burnous, les kachabias, les mélias et autres tapis et couvertures de laine… il comptait alors parmi les commerçants les plus riches de Nabeul ; et en 1967, la mise en place brutale du collectivisme, le foudroya littéralement ; en quelques semaines, et alors qu’il affichait une santé exubérante, il périclita puis décéda de chagrin, dirent les bonnes mères nabeuliennes, c'est-à-dire d’une apoplexie brutale ou d’un coup de sang…

 

Abdelmadjid Mhir, appelé et connu par tous les nabeuliens simplement, comme Méjid, était un nabeulien de pure souche[9] ; Il était connu pour sa grande honnêteté, sa serviabilité et sa grande capacité de travail, son épicerie, accolée alors à la pharmacie Jaïbi,[10] était ouverte de 6h du matin à 10h du soir et ressemblait à la caverne d’Ali Baba ; tout s’y trouvait et chacun y trouvait son bonheur.

 

C’est là qu’un matin de la même année 67, à l’aube d’un jour noir pour sa famille et pour la majorité des nabeuliens, l’un de ses clients le trouva pendu à une corde attachée à une poutre du plafond, juste au-dessus de son comptoir, là où il aimait accueillir ses clients avec affabilité ; c’est là qu’il avait choisi de tirer sa révérence à Bourguiba et à Ben Salah, ayant compris à ses dépens, qu’il n’avait aucune chance de pouvoir leur signifier d’une autre manière, son refus d’obtempérer…pour  tout signe de protestation, il ne pouvait leur offrir que sa mort…

 

Durant ma vie, j’eus l’occasion d’assister à de multiples  funérailles, mais jamais, je ne vis autant de monde marcher derrière un cercueil, que lors de la procession mortuaire de Méjid, auquel tout Nabeul, en rage contre le collectivisme et les coopératives, avait décidé de venir dire un dernier adieu.

 

Ce n’était pourtant ni une gloire nationale de football, ni un militant assassiné par l’OAS, ni encore un notable religieux décédé sur son tapis de prières ; c’était simplement un homme de principe, qui ne pouvait admettre que le fruit de décennies de labeur infatigable, fût mis entre les mains de petits fonctionnaires plus ou moins véreux, désignés par Ben Salah, Amor Chéchia et consorts, pour gérer et dilapider ce patrimoine, en toute bonne conscience ; et le peuple de Nabeul, en marchant tristement derrière le cercueil de Méjid, lui rendait hommage pour son courage, tout en demandant à Dieu de lui pardonner cet acte de désespoir, proscrit par l’islam…

 

******

 

Bourguiba lui, qui avait commencé depuis longtemps, à le faire narcissiquement, continuait imperturbablement, à se raconter et à médire des autres personnalités nationales, même parmi ses plus proches collaborateurs et compagnons de route, jugez en plutôt :

 

Durant les incidents de Bizerte, en 1961, il était confortablement assis derrière son quasi-trône à la Kasbah, d’où, relayé par la radio nationale dans une mise en scène pathétique, il donnait des ordres à son quasi Premier Ministre Béhi Ladgham (sercrétaire général de la Présidne) qui était aux premières loges derrière les jeunes combattants tunisiens envoyés au massacre, mal armés et peu aguerris qu’ils étaient… Bourguiba n’eut aucun scrupule à le traiter un peu plus tard de tête de lard, et de tête de mule, lors de l’un de ses discours.

 

D’autres fois ce fût Mustapha Kaak, ex Premier Ministre, et ex bâtonnier des avocats tunisiens, qui fit les frais de sa médisance, lorsque, décrivant une scène qu’il avait certainement enjolivée en sa faveur, et où le Bey entrant dans l’une des pièces de son palais, se retournait vers le Combattant suprême pour lui donner sa canne à pommeau d’argent à accrocher à une patère, il prétendit avoir sermonné le monarque, en lui disant sèchement : Mais vous semblez me prendre pour Mustapha El Kaak, votre larbin…

 

J’ai eu l’honneur et le plaisir de côtoyer longuement Si Mustapha Kaak durant mon enfance et ma jeunesse, c’était le beau père de mon oncle Hédi qui possède une  maison à la plage de Nabeul, juste à côté de la notre ; feu Si Mustapha y venait souvent passer quelques heures auprès de sa fille aînée Ella Zeïneb et de ses petits enfants Mohamed Saïd, feu Youssef et feu Ali. C’était un homme de goût, raffiné jusqu’au bout des ongles et  un érudit, polyglotte, presqu'autant que son frère Othmane, doublé d’un sportif accompli, qui, jusqu’au crépuscule de sa vie, abattait sa dizaine de kilomètres de marche quotidienne.

 

Quand il était à Nabeul, il aimait bien inviter mon père, qu’il appréciait beaucoup, à venir boire le café ou pour une longue partie d’échecs durant laquelle ils multipliaient, sans un mot, les attaques et les parades, avant que l’un ou l’autre, ne finisse par porter calmement l’estocade finale, sans aucune exubérance, mais avec un petit sourire de satisfaction et en soufflant tranquillement : El cheikh Met (le cheikh est mort) dont l’occident avait fait le fameux  échec et mat.

 

Après le décès de mon père, Si Mustapha aimait également inviter mon beau père, Si Mohamed El Felah, président de chambre d’appel de Tunis, pour siroter un thé à la menthe et échanger des souvenirs du prétoire où tous les deux rivalisaient de compétence, en même temps que de courtoisie et de respect des autres et de leurs droits inaliénables, en tout cas à leurs propres yeux !!!

 

Mustapha Kaak, Sta[11] pour sa famille, était un patriote qui a toujours agi selon sa conscience, sans aucun opportunisme politique, disponible quand le pays avait besoin de ses compétences et de sa clairvoyance, prompt à rendre son tablier aussitôt qu’il sentait que sa présence aux affaires n’était plus souhaitée ; et à reprendre sa robe d’avocat.

 

Au contraire d’un Habib Bourguiba pathétique, qui s’accrocha vaille que vaille à sa présidence, devenue fantoche et sénile, jusqu’au dernier moment, au risque de faire basculer le pays dans le chaos ; et s’il était  certainement arrivé à Sta de prendre la canne du Bey pour la déposer quelque part, ce n’était que par pure courtoisie envers un monarque et en conformité avec les règles universelles de politesse, même en dehors des cours royales, comme chacun sait !!!

 

Ce n’était certainement pas pour se l’approprier, comme l’avouait, sans le vouloir vraiment, le Combattant suprême lorsque, poursuivant son récit, il loua l’esprit d’a propos et la finesse de la Beya Djeneïna, épouse du monarque qui, pour rattraper ce geste, que Bourguiba voulait faire passer pour une atteinte à sa dignité, lui dit, mais si el Habib, Sidna voulait simplement vous offrir sa canne en cadeau d’amitié…

 

Et Bourguiba de dévoiler sa convoitise, en aménageant la chute de sa scène où il entendait continuer à jouer le rôle ‘du gagnant à tous les coups’, il pouffa de rire et déclara : « Je lui dis alors, ah bon, dans ces conditions, je la prends » et comme pour rattraper cette bévue révélatrice de sa convoitise et de sa jalousie maladive, il ajouta aussitôt, d’un air peu convaincant :  « Je ne sais d’ailleurs plus, où elle est passée, cette canne, quelqu’un a dû s’en emparer… » 

 

Mongi Slim, le grand homme politique est connu pour avoir joué, avec d’autres, un rôle de premier plan durant les négociations avec les autorités françaises ayant conduit à l’indépendance ; il a ensuite mis sa vie au service du pays, et plus directement en celui de Bourguiba, qui en fit à un moment donné, son ministre des affaires étrangères et qui, le voyant trop bien réussir à son goût, ne le laissait pratiquement plus descendre d’avion, multipliant les missions qu’il lui confiait, les unes à la suite des autres, à New York, au Moyen Orient et ailleurs, comme pour l’éloigner de sa vue et contenir son rayonnement qui lui portait visiblement ombrage…

 

Même ce Mongi Slim, qui continuait à lui obéir au doigt et à l’œil, malgré sa santé chancelante, ne trouva guère grâce à ses yeux, jugez en encore :

 

Durant les années 73/74, Bourguiba entendit participer à la formation académique de certains étudiants et on se dépêcha d’organiser une série de conférences, notamment à la faculté de droit et des sciences économiques de Tunis, durant lesquelles il viendrait enrichir les connaissances des étudiants en journalisme.

 

En fait, cela lui servit surtout à continuer à se raconter ; sa naissance tardive à un âge avancé de sa mère, qui en était toute confuse, son enfance, la scène de sa maman assise par terre, manœuvrant la meule traditionnelle qu’elle faisait tourner péniblement, ses études, ses frères, tout y passa… Lors de l’une de ces conférences où il ressassait ses souvenirs au bénéfice de ses étudiants, le hasard voulut que ce fut précisément dans l’amphithéâtre Mongi Slim, (salle qu’il aurait sûrement voulu voir nommer Amphithéâtre Habib Bourguiba[12]), que Bourguiba n’hésita pas à réduire les actions de tous ses collaborateurs et compagnons de route à la portion congrue et notamment celles de Mongi Slim, auquel il dénia une quelconque contribution à la libération du pays.

 

Ce fut ce jour là qu’il déclara pompeusement, ses bras levés au ciel et ses yeux d’acier lançant des éclairs : On m’appelle le Combattant Suprême, mais c’est inapproprié… en fait il faut dire Le Combattant Solitaire, car moi seul, ai réussi à sortir la France et à libérer le pays…

 

C’est, je pense, ce jour là, que sa mégalomanie atteignit sa plénitude ; il s’était tellement convaincu de la réalité de ces affabulations historiques qu’il avait fini par croire, qu’avant lui, il y avait le néant ; que lors de la lutte politique et tout le long du processus de libération, il n’ y avait toujours  eu à ses côtés, que des ombres ; et qu’après lui, il n’y aurait que le chaos, voire le néant ? !!!

 

Il était tellement convaincu de la véracité de ces  fables, que, presque tout le monde dans son auditoire, avait touché du doigt sa mégalomanie…il continuait ses envolées lyriques avec des sanglots dans la voix, et même des larmes perlant de ses yeux, sans réaliser le moins du monde, qu’il se rendait, pathétiquement, ridicule.

 

Et, bien sûr, aucun de ses courtisans, ne s’aventura à lui conseiller davantage de retenue ou à solliciter un apport plus académique à la formation ciblée…et cette vaste comédie de se répéter plusieurs fois….

 

Je ne veux nullement nier ici les apports multiples de Bourguiba, ce grand visionnaire politique, formé au droit et aux sciences politiques dans les facultés françaises et à l’action politique, surtout par sa participation[13] active et éminente à l’émancipation du pays et à sa libération du joug du colonialisme.

 

Je ne veux pas du tout lui nier sa contribution, importante, à la modernisation du pays, à la généralisation progressive de l’alphabétisation et à la poursuite de l’émancipation de la femme, déjà prônée par d’autres avant lui, élargie et intensifiée, après lui, par la société tunisienne.

 

Je n’entends pas non plus passer sous silence sa grande honnêteté personnelle et son désintérêt vis-à-vis de l’enrichissement illicite que son entourage aurait pratiqué à outrance, bénéficiant de ses largesses et d’autres opportunités qu’il permettait à ses proches de saisir.

 

Ce dont je lui ai toujours tenu rigueur, c’est sa propension constante et continue, à croire et à agir comme s’il avait été l’Homme Providentiel, seul et unique à détenir la vérité et seul à connaître les voies et les moyens exclusifs de mener le pays vers son meilleur avenir, de croire et de réagir, à chaque déboire survenu, comme s’il  n’y avait été, personnellement, pour absolument rien… Il m’est arrivé d’applaudir à certaines de ses prises de positions, notamment son point de vue prémonitoire à Jéricho, en 1965, en ce qui concerne la Palestine et les Palestiniens .

 

Je continue d’apprécier son intérêt et les efforts qu’il a faits de son vivant, pour œuvrer à l’éradication de la pauvreté et lui reconnais volontiers son apport initial important à la formation de cette couche sociale moyenne qui fait aujourd’hui honneur au pays.

 

J’avoue qu’en le voyant pleurer sa mère et compatir à ses difficultés quotidiennes, regrettant de n’avoir pas eu le temps de lui procurer le bonheur de le voir, tel qu’il était devenu et à quoi il était parvenu, j’avais moi-même les larmes aux yeux, par compassion pour le fils, dans son humanité nue et sincère…

 

J’avoue qu’au-delà des imperfections du politique politicien et de sa tyrannie, Bourguiba l’homme m’a toujours inspiré beaucoup d’admiration. J’avoue qu’à l’annonce de son décès, je me suis moi-même surpris à le pleurer, (comme, peut-être, ne l’ont pas fait ceux qui prétendaient lui être fidèles du temps de son omnipotence), et à lui pardonner beaucoup d’erreurs et d’impairs, en ma qualité d’observateur et de citoyen aimant mon pays et n’acceptant pas qu’on lui porte préjudice.

 

J’avoue que quelques années avant le début de sa déchéance intellectuelle et physique, je ne lui en voulus guère de s’être laissé convaincre de traficoter la constitution du pays pour se faire introniser président à vie, n’étant pas sûr que, moi-même, à sa place, n’aurais pas agi de même…

 

Après sa mort, et après la reprise des commandes du pays, par un autre je lui pardonnais même son acharnement à s’accrocher à la présidence qu’il n’assumait plus, au risque de nuire irrémédiablement au pays ; je me suis dit alors, qu’à sa décharge, il avait eu, au moins, le mérite de contribuer à façonner la forte personnalité de son successeur, qui a pris ses responsabilités et fait ce qu’il fallait, au moment où, il allait être presque trop tard…[14]

 

Mais en tant que fils de patriote, je n’ai jamais réussi à lui pardonner le tort que ses fausses certitudes ont causé à mon père, Si Hmeïda ben Mohamed ben Hmeïda El Haouet.  

 

Dieu dans Sa bonté et Sa miséricorde, y pourvoira, s’Il le juge équitable. Puisse-t-Il nous pardonner à tous, nos péchés et nos erreurs innombrables…. 

 

 

[1] Au moment où je remets en forme ce texte pour sa diffusion sur mon blog, les révolutions Tunisienne  et Egyptienne ont réussi à se débarrasser de leurs tyrans respectifs, Ben Ali et Moubarak ; Le colonel fou Gadafi continue à bombarder le peuple Libyen qui peine à s’en débarrasser, mal aidé en cela par l’OTAN et la communauté internationale, alors que la Syrie, le Yémen, la Jordanie, le Bahreïn, souffrent les affres du despotisme, tandis que la Palestine et  ses citoyens continuent de souffrir ceux du colonialisme israélien vieux de plus de 60 ans, avec la complicité active de l’ccident et celle passive des  tyrans et tyranneaux 

arabes désunis.

 

[2] Ce qui ne l’a pas empêché de confirmer certains Caïds qu’il connaissait personnellement et dont les uns et les autres ont su le caresser dans le sens du poil, l’un d’entre eux ayant même eu grâce à ses yeux en lui offrant le pur sang arabe, sur le dos duquel il a caracolé dans les rues de la Goulette, puis celles de Tunis…

 

[3] Il en fut ainsi après l’expérience malheureuse du collectivisme dont Ben Salah paya seul  les pots cassés en étant condamné à la prison, dont il s’échappera dans des conditions rocambolesques, il en fut ainsi après la fameuse Union avec la Libye concoctée par Gueddaffi et  Mohamed Masmoudi, alors ministre des affaires étrangères  et dont la responsabilité fut rejetée sur ce dernier, Bourguiba menaçant de le faire emprisonner  après avoir signé avec enthousiasme le document portant projet d’union, il en sera souvent ainsi avec d’autres, notamment avec Mohamed Mzali à la suite des émeutes du pain en 1978 auquel encore une fois il fit porter seul toute la responsabilité de ses propres décisions, soufflées, il est vrai, par son Premier Ministre du jour…

 

[4] Si l’on ne compte pas les deux années  de 55à 57 où il eut presque plein pouvoir  par le Bey, il fut élu président de la République le 25 juillet 1957 et ne fut déposé  qu’en septembre 1987, ce qui lui fait 30 ans de pouvoir absolu davantage même que sa propre création, ce deuxième tyran qui le mettra sur la touche aussi cavalièrement, ou presque, qu’il ne l’avait fait lui-même pour Lamine Pacha Bey  ….

 

[5] Amor Chéchia fut un très grand gouverneur aux yeux de Bourguiba ; il n’avait  pourtant pour tout cursus, que quelques années de koutteb et une ou deux année de Djemaa Ezzitouna ; mais il faut dire que ce fut auparavant l’un des chefs bastonneurs de Sabbat Edhlam à la Kasba où  une milice secrète du néo destour s’adonnait à la torture ; et plus tard, en sa qualité de super gouverneur de Nabeul, Sousse et Kairouan (les 3 ensemble), il ne perdit pas ces bonnes habitudes d’homme de poigne : il se promenait toujours avec au moins un pistolet dans la poche de son gilet et, selon plusieurs de ses proches qui ont éventé ses exploits aussitôt qu’il fut emprisonné, il n’était pas rare, qu’après une soirée bien arrosée dans un hôtel de Hammamet, il ne force une touriste à monter avec lui, dans la chambre gracieusement mise à sa disposition par le directeur, voire par le propriétaire de  l’hôtel .

 

[6] De la dynastie Husseinite ;  Les Beys de Tunis  (1705-1957) ; par El Mokhtar Bey ; décembre 2002 aux  Editions SERVICED ;

 

[7] Cité entre autre, par Fayçal Bey in La Dernière Odalisque ; p 450 ; Editions Stock 2001.

 

[8] Appellation respectueuse, réservée au Prophète Mohamed et aux monarques tunisiens, signifiant dans ce dernier cas,  Monseigneur, et plus littéralement Notre Seigneur

 

[9] C’est lui qui, en 1950/51, servit de mentor à Abderrahmane le mari de Kmar, lorsque papa dota ce dernier d’une boutique d’épicerie fine.

 

[10] Aujourd’hui pharmacie Baccar, à l’entrée des souks de Nabeul.

 

[11] Sta étant ici, simplement le diminutif de Mustapha et non pas l’appellation sfaxienne, qui elle, voulait dire originellement maître ou patron et qui est devenue une appellation  amicale que s’échangent les sfaxiens..

 

[12] Comme s’il ne lui suffisait pas que tous les lieux plus ou moins prestigieux et toutes les grandes avenues du pays,  portent  systématiquement  son nom…

 

[13] Il s’agit bien d’une participation et seulement d’une participation et non une direction et une responsabilité exclusive, comme a toujours tenté de le faire croire Bourguiba, en se décernant le titre de Combattant Solitaire

 

[14] Je reconnais ici que, comme des millions de Tunisiens, j’ai été floué par le discours du 7 novembre et que j’ai applaudi au coup d’Etat médical réalisé par Ben Ali, avant de déchanter rapidement en constatant que nous avions échangé un dictateur contre un autre plus hargneux encore et plus ripou !

 

 

 

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