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6 janvier 2011 4 06 /01 /janvier /2011 21:20

 


 Sellem le fou ?

 

Mon père, en tant que représentant régional de l’administration beylicale à Nabeul, a surtout été connu en tant que Khlifa[1].

 

Même après son accession aux fonctions et au grade de Kéhia et même lorsque, ayant rempli les conditions d’intérim suffisant pour être nommé en qualité de Gayed, le décret beylical formalisant cette nomination, dûment signé était sur le point d’être publié, c’est cette ancienne appellation qui survécut. Par parenthèse, cette confirmation en qualité de Caïd ne devait jamais se faire, puisqu’en  novembre 1955, Bourguiba le nouvel homme fort du gouvernement, en décida autrement, mettant mon père, ainsi que nombre d’autres cadres de divers grades et divers caïdats, en disponibilité d’office, et par-là, même, en demeure de gagner sa vie :

 

Etant encore à 14 ans de l’âge légal de la retraite, mon père ne pouvait même pas prétendre à  la pension de Kéhia[2], Je reviendrais plus loin, si Dieu veut, sur cette période douloureuse et plus en détails, plus bas dans ces bribes de mémoires.

 

C’est ainsi, que plusieurs familles nabeuliennes ayant commencé à nous désigner par Dar El Khlifa[3], durant les années 1948/49, ont continué à nous servir des « la femme du Khlifa », « le fils du Khlifa », « la fille du Khlifa », même au-delà des années 60, confondant ainsi, plus ou moins, l’ancien grade de mon père avec notre nom patronyme.

 

C’est ainsi donc que Sellem, un membre pour le moins intéressant d’une famille nabeulienne honorable ayant fourni de véritables patriotes et des maîtres artisans de valeur, étant alors sujet à de fréquents épisodes d’hystérie plus proches de la transe mystique que de la folie furieuse, se mettait, surtout au cours des grosses chaleurs de l’été, à réclamer, à cor et à cris, de rendre une visite d’adieu à Dar El Khlifa… avant de consentir à se laisser conduire à l’hôpital  psychiatrique (Errazi) de Tunis.

 

A sa première crise, survenue l’été 48/49, nous étions en villégiature dans une maison de location à la plage[4], lorsque des spahis et des infirmiers, accompagnés de policiers corses, firent violemment irruption dans notre cour ; ils étaient à la poursuite d’un jeune homme  de près de 25 ans, qui, les ayant précédés dans la cour, hurlait à pleins poumons, qu’il voulait voir Sidi El Khlifa.

 

Papa, alors en congé annuel, s’inquiétant de ce raffut, sortit tout enveloppé de son peignoir de bain pour s’enquérir de ce qui se passait et, voyant les policiers et les infirmiers plaquer Sellem au sol, il leur intima l’ordre de le relâcher. Il connaissait Sellem, pour l’avoir souvent vu, au quartier Boughdir[5] où résidait sa famille, et surtout pour l’avoir vu prendre le bain et deviser amicalement avec Stoufa mon oncle maternel, musicien émérite et don juan à ses heures perdues.

 

Sellem relâché, se calma subitement et, s’excusant, embrassa mon père médusé en lui disant : « Maintenant, je peux partir tranquille, je transmettrai vos amitiés et vos respects à Sidna El Bey, auparavant je voulais juste vous saluer et ils voulaient m’en empêcher. »

 

Aussitôt ces mots prononcés, Sellem endossa la camisole de force que ses chasseurs n’étaient pas parvenus à lui mettre et grimpa, de lui-même, dans l’espèce de camion fourgon qui devait le conduire à l’hôpital tunisois.

 

Cette scène dont je n’ai pas été directement le témoin, nous avait été rapportée par mon père qui, ayant auparavant écourté son bain, était sorti de la mer avant nous en nous laissant, Bédye, Lilia et moi, poursuivre nos joyeux ébats dans l’eau, en compagnie de Maman et de Kmar ; celle-ci, n’aimant pas beaucoup les bains de mer, elle s’était cependant fait une joie d’en faire prendre un à Féthi, âgé alors de 15 mois.

 

Trois ans plus tard, début juin 52, c’est une scène similaire qui s’est déroulée sous mes yeux étonnés :

 

Nous prenions tous le déjeuner vers 12h 40 lorsque la sirène d’une ambulance se fit entendre, d’abord d’assez loin, puis l’ambulance se rapprochant sensiblement de notre appartement,  son signal lancinant cessa subitement. Quelques secondes après, c’est notre sonnette qui fut actionnée.

 

Kmar, étant descendue aux nouvelles, remonta l’escalier de l’appartement quatre à quatre en rigolant bruyamment et déboula dans la salle à manger, en nous annonçant dans un éclat de rire moqueur, mais sans méchanceté aucune :

 

« Sellem le fou,  va encore rendre visite au Bey[6]

 

Papa plia posément sa serviette et, la posant sur le coin de la table, il descendit l’escalier, pendant que nous nous précipitions, chacun et chacune, vers les nombreuses fenêtres donnant sur la rue et offrant l’avantage d’être masquées de moucharabieh.

 

Nous vîmes ainsi Sellem, vêtu d’un costume en assez bon état, portant des lunettes de soleil et tenant à la main une ombrelle repliée, s’avancer à la rencontre de mon père, tout en étant encadré de près par deux spahis ; s’étant suffisamment rapproché, il déploya cérémonieusement son ombrelle au-dessus de la tête de papa pour le protéger du soleil, masquant du même coup à nos yeux certains détails de l’adieu ; celui-ci se déroula cependant dans un calme tant quasi-protocolaire que tragi-comique.

 

Sellem réitéra solennellement la scène de l’ambassadeur se faisant délivrer ses lettres d’accréditation pour aller les remettre à son Altesse Le Bey de Tunis, avant de réintégrer son ambulance.

 

Papa, ayant achevé de superviser le transfert de Sellem qui était, cette année là quelque peu précoce, l’été n’étant pas vraiment entamé, il nous rejoignit à la table, autour de laquelle nous nous étions à nouveau réunis et, remarquant nos sourires goguenards, nous sermonna vertement, en nous invitant à davantage de compassion devant la tragédie des autres ; il nous apprit que Sellem était quelqu’un d’instruit qui connaissait par cœur les soixante hizbs[7]  du Coran, ainsi que des dizaines de poèmes en arabe littéraire, langue qu’il maîtrisait parfaitement. 

 

Bien plus tard, j’eus l’occasion de faire plus ample connaissance avec Sellem, je découvris en lui une personne vraie, aux racines bien ancrées dans un humus riche d’humanité, de patience, de tolérance ( particulièrement vis à vis des enfants, qui ne cessaient pourtant de le chahuter), et de croyance en la bonté divine...

 

Je le croisai brièvement, deux ou trois fois, alors que j’avais entre 18 et 20 ans ; me reconnaissant de loin et, bien que beaucoup plus âgé que moi, c’est  lui qui prenait à chaque fois, l’initiative de me saluer d’un geste de la tête suivi d’un mot gentil ; il semblait lire dans mes pensées et comprendre ma gêne à l’aborder, dubitatif encore que j’étais, à concevoir que c’était une personne normale.

 

Quelques années après le décès de mon père, il prit l’habitude durant une bonne période de l’été, parfois chaque jour, de s’installer non loin de notre maison de la plage, sur une chaise pliante au bord de l’eau pour pratiquer son loisir préféré, une canne à pèche à la main.

 

A cette époque, ayant commencé, enfin, à réaliser que nous étions tous, peu ou prou, névrosés, plus ou moins bourrés de complexes et de non-dits refoulés et, qu’en définitive, être une personne normale, ne voulait pas dire grand-chose dans ce monde fou,  je pris l’habitude d’aller m’asseoir à ses côtés sur le sable, et de deviser avec lui.

 

Nous discutions de choses et d’autres, simplement, cordialement, comme des amis ou des parents proches que nous étions, presque, devenus. En prenant congé de lui, après une bonne heure d’évocation de souvenirs et de bavardage à bâtons rompus, il me saluait toujours d’un sincère Yarham Sidi Hmeïda….[8]

 

Cela fait maintenant près de trente ans que Sellem est décédé, je l’avais appris trop tard pour pouvoir assister à ses obsèques comme je l’aurais souhaité, mais chaque fois que je me souviens de lui, j’implore Dieu Tout Puissant de l’accueillir dans Son Infinie Miséricorde…Allah Yarhmek ya Sellem[9].

 

***

 

Habib Ben H, dit Ne…

 

Des fous qui l’étaient, si peu, ou qui l’étaient devenus, subitement, pour des raisons obscures, il y en eut toute une flopée à Nabeul en ces années 50.

 

J’en ai connus qui l’étaient devenus inexorablement, leur famille comptant plus d’un membre névrosé, à l’exemple d’un certain Hdoussa qui parcourait les rues de Nabeul tout contre les murs qu’il écorchait légèrement de l’ongle de son index en lançant chaque fois un bref cri de victoire…ou encore de mon pauvre ami Abada, un ancien basketteur, fils d’une famille d’artisans en ferronnerie d’art[10]  et qui a passé une bonne partie de sa vie à faire la manche, mais ne demandant une petite aumône qu’aux fils de famille dont il savait qu’ils n’allaient pas le railler et qui mourut anonymement et misérablement seul dans le vestiaire des footballeurs dont la gardien de nuit du stade lui permettait charitablement l’accès !!!

 

Mais j’en ai particulièrement connu un, qui est devenu fou par chagrin d’amour.

 

C’était quelqu’un qui faisait presque partie de ma famille élargie, son père ayant été par ailleurs celui qui nous demanda à Bédye et à moi-même, de regarder le petit oiseau avant de nous couper le zizi.

 

Ce prétendu fou là, Habib Ben H, l’était devenu par amour…ou plus exactement, par blessure d’amour.

 

L’Habib que je n’ai pas connu, notre famille n’habitant pas encore Nabeul, était un jeune homme avenant qui, quoiqu’issu d’une famille modeste, (son père étant un petit barbier de quartier), avait réussi, à force de volonté et de travail, à grimper quelques échelons dans l’implacable classification sociale qui présidait alors aux rapports interfamiliaux, en devenant l’un des rares instituteurs, normalien de surcroît,  de Nabeul.

 

Tout fier de ce qu’il vivait alors, à juste titre, comme une promotion sociale, et ayant connu une jeune fille de bonne famille qui lui avait donné l’impression qu’elle le trouvait à son goût, il avait vaincu la réticence de ses pauvres parents et les avaient forcés à aller demander la main de leur fille… à cette riche famille bourgeoise.

 

Ses vieux parents, mal dans leur peau, furent froidement reçus par des gens guindés et furent rapidement reconduits, sans refus net, ni encore moins d’acquiescement, alors que la jeune fille, visiblement consentante, était allée demander aux domestiques de servir les rafraîchissements d’usage…

 

Ces bourgeois, quelque peu snobinards, n’ayant pas hésité en plus, à le convoquer, lui qui s’était alors cru invité, pour des contacts directs avec la famille de celle qu’il espérait avoir pour fiancée ; mais, ces gens sans cœur, lui signifièrent crûment « que leur famille ne contracterait jamais alliance avec un petit instituteur dont le père était de surcroît un arracheur de dents[11]. »

 

Le choc fut rude et l’instituteur, touché dans son honneur, ne parviendra jamais à digérer ce qu’il vécut comme un traumatisme irréparable, il en fut malade et garda le lit des semaines durant ; il ne quitta le lit, que pour se transformer en candidat à la clochardisation. Sa névrose empirant, Il dût, bien entendu, abandonner l’enseignement public et essaya de survivre en donnant quelques cours particuliers.

 

Ce fut l’Habib que je connus brièvement.

 

Compatissant alors à son malheur, Maman dont la mère d’Habib était une cousine éloignée de sa propre mère, parvint à convaincre Papa de le charger de donner quelques leçons complémentaires à mon frère Bédye et à l’aider à faire ses révisions pour les examens.

 

Habib, qui était un excellent pédagogue, remplit parfaitement sa mission et Bédye enregistra des progrès évidents ; mais un jour de crise, l’amoureux transi vint voir Maman à la fin de la leçon de Bédye, pour lui dire, en riant aux éclats :

 

Je sais parfaitement que je suis fou, mais je constate que Hmeïda et toi, Mongia, êtes encore plus fous que moi, pour m’avoir demandé de donner des cours à votre patapouf [12]chéri. Vous, une famille bourgeoise… et si j’en faisais un bon couscous, votre  Bédye Ezzamène, hein ! ? Et il partit en riant aux éclats, en claquant la porte.

 

Ce jour là Maman eut tellement peur, qu’elle nous interdit, à tous, de lui adresser la parole et de nous en approcher, pour quelque motif que ce fut. Sachant pertinemment, que la sortie d’Habib et ses éclats de rire, n’étaient qu’une manifestation de dépit névrotique, mais sans méchanceté, ni encore moins de désir de vengeance, elle ne voulait cependant nous faire courir aucun risque…

 

Nous étions alors à Bab Salah et la mode était à la location de vélos.

 

Aucun jeune du quartier n’en possédait encore un ; et ma mère, connaissant ma constitution chétive, refusait obstinément de laisser Papa nous en acheter un, même pas pour Bédye, de crainte que je puisse l’emprunter et me casser quelque chose… Ce qui ne m’empêcha pas de me laisser convaincre quelque temps après par mes petits copains et d’avancer l’argent de la location d’un vélo en piteux état, que le cycliste[13] nous assura être quasi-neuf.

 

On me tint la selle et je grimpai hardiment sur le vélo, dont une pédale était mal réglée et pendouillait quelque peu tout près du sol ; et après  quelques minutes d’entraînement, je fus assuré par mes camarades que j’avais appris à monter à bicyclette et que je pouvais très bien la conduire sans l’assistance du copain qui me tenait la selle pour m’empêcher de tomber.

 

Je cédai donc le vélo à mes camardes qui le montèrent, à tour de rôle ; puis, le récupérant d’autorité, je me lançai le défi d’aller jusqu’au ponton de la plage[14] et retour.

 

Cela se passait quelques semaines après que Maman nous eut interdit d’approcher Habib, en nous disant, pour achever de nous convaincre de respecter ses consignes, qu’il était capable de nous faire du mal.

 

Et me voilà tout fier de monter un vélo de façon autonome, zigzaguant à travers la route de la plage, heureusement vide de toute circulation automobile, maîtrisant mal la trajectoire de ma monture.

 

Tout occupé à appuyer sur les pédales et à tenir le guidon droit, je fus perturbé dans ma concentration par l’appel de quelqu’un qui, connaissant mon surnom, était en train de me dire gentiment :

 

« Fais attention Fika,  tu ne devrais pas monter à vélo, tu risques de tomber et d’abord est-ce que Mongia est au courant de cette escapade ? »

 

J’étais presque arrivé à la plage et j’avais vaguement aperçu quelqu’un assis à l’ombre d’un gros platane sur un banc public, sans lui avoir prêté une attention particulière, mais en entendant ces mots, je tournais la tête vers lui, et je reconnus Habib.

 

Il souriait d’un air plutôt bienveillant, et n’avait pas bougé de son banc, mais les instructions de ma mère et ses craintes réitérées me firent décoder son sourire bienveillant, comme une menace d’attaque imminente ; et, tout en appuyant de plus belle sur les pédales pour m’éloigner du danger, je choisis de quitter l’asphalte de la route pour m’engager dans un raccourci, qui n’existe plus aujourd’hui et qui, partant du site actuel de la Maison des Jeunes, débouchait juste à côté de l’hôtel Nabeul Plage, faisant face à la fameuse Lascala.

 

Malheureusement pour moi, le sentier sur lequel je m’étais engagé était quelque peu vallonné et comportait des trous et des broussailles ; et la pédale mal fixée, choisit le moment où je me retournais pour voir si Habib était en train de me poursuivre, pour buter contre un obstacle que je n’eus pas le temps d’identifier, me retrouvant étalé par terre, coincé sous le vélo, avec mon bras gauche tordu derrière le dos, incapable de bouger et, encore moins, de me relever !

 

Au moment de m’engager dans le sentier, j’avais entr’aperçu la silhouette de deux jeunes  européennes qui se rapprochaient ; et c’est sûrement ce qui m’avait incité à m’engager sur le sentier où je présumais pouvoir trouver protection contre l’attaque d’Habib que je pressentais imminente.

 

Affolé par mon immobilisation et par une douleur qui se fit fulgurante à  mon bras gauche et persuadé qu’Habib allait me sauter dessus, je commençais à crier en français « au secours, au secours… » ; deux secondes après, j’entendis une voix féminine dire « oh ! Le pauvre petit, il a l’air de s’être fait mal » et je vis deux demoiselles dont je reconnus l’une comme étant la fille Batista, une très belle nabeulienne, fille de pêcheur dont la cabane était à quelques mètres de Lascala ; j’appris, plus tard, que l’autre était sa cousine, venue passer quelques jours de vacances.

 

M’aidant à me relever et constatant que je m’étais fracturé le bras, la Batista,  me laissant sous la garde de sa cousine, courut chercher son propre vélo sur lequel elle me ramena chez moi, me faisant asseoir derrière sur le porte-bagages et me recommandant de l’enlacer de mon bras valide pour éviter de tomber à nouveau.

 

C’est dans cette posture que je repassais devant Habib toujours assis sur son banc, avec le même air rigolard et inoffensif.

 

Me voyant enlacer la belle italienne, il ne put s’empêcher de me lancer au passage : « Oh ! Le veinard, il en a de la chance. »

 

En matière de chance, j’étais bien servi, je venais de me casser le bras gauche pour la deuxième fois en trois ans, la première c’était à Tunis en 1948 ; revenant de l’annexe du collège Sadiki, je rentrais alors chez ma grand-mère et, en commençant à descendre les larges escaliers près du poste de police (qui débouchent toujours devant Sabbat El Dhelem), menant à la rue Bir Lahjar, je perçus la voix pâteuse caractéristique des soûlards.

 

J’avais une peur bleue des gens en état d’ébriété ; et craignant qu’il y en eut un à mes côtés, je m’étais retourné et avais aperçu effectivement quelqu’un qui tanguait à quelques pas de moi ; je piquai donc un sprint tellement violent pour débouler les escaliers que, arrivé à la dernière marche et devant tourner à 45° à droite pour m’engager dans la rue Bir Lahjar, je ne parvins pas à freiner suffisamment mon élan pour négocier correctement le virage.

 

J’achevai donc ma course en m’écrasant violemment contre le mur, mon pauvre bras gauche supportant tout le poids du choc….

 

Et ce fut mon soûlard de voisin qui, me reconnaissant malgré sa cuite, me ramassa par terre où je me tordais de douleur pour me faire asseoir, quelques mètres plus loin, sur le pas-de-porte de ma grand-mère ; il me regarda alors droit dans les yeux et me fit signe de garder le silence, en mettant son index sur la bouche et en me soufflant dans le visage un chuuuut puant l’alcool, avant de poursuivre son tangage et son roulis vers la rue Dar El Jeld.

 

Ce fut Kmar qui, percevant mes gémissements à travers la porte, vint me secourir et qui, accompagnée de mon oncle Badreddine, me conduisit, quelques minutes plus tard, à l’hôpital Sadiki pour me faire rapidement plâtrer le bras.

 

Mon plâtre nabeulien dut attendre quelques heures pour m’être posé.

 

En effet, déposé devant la maison de Bab Salah par la belle Batista, j’allai me coucher dans mon lit, prétendant que j’étais fatigué ; lorsque ma mère vint m’appeler à dîner, j’avais la fièvre, mais je réussis à masquer ma douleur et à avaler quelques brins de salades, ainsi qu’un bol de chorba avant de me recoucher ; c’est vers 21h30, donc quasiment cinq heures après ma chute, que je me démasquai… en vomissant.

 

Ma mère comprit immédiatement qu’il s’agissait d’une fracture ; et mon père me conduisit finalement au service des urgences de l’hôpital de Nabeul…

 

Quelques années plus tard, j’eus quelques discussions sérieuses avec Habib qui semblait se complaire à cultiver l’image du fou, en se forçant de glisser quelques propos incohérents ou quelques éclats de rires qu’il voulait déconcertants. Mais il ne put réellement me tromper et, malgré ces artifices ou peut-être à cause de ceux-ci, je parvenais toujours à déchiffrer ces véritables cris de révolte, qu’il maquillait d’incohérence apparente, par sa soif de dignité, et par sa détermination à ne pas verser dans les plaintes et les complaintes.

 

Pour tout autre que lui, il y aurait eu pourtant plus que des motifs de lamentations :

 

Son père Amor et Jazia sa maman étaient alors devenus vieux et malades, ils n’avaient pas de ressources régulières suffisantes pour tenir la maison et assurer leur substance et celle de leur fils catalogué malade mental ; mais le vrai malheur que vivait Habib, c’est que, s’il était névrosé et foncièrement aigri, il avait gardé une conscience aiguë de sa dégénérescence sociale et, dans son for intérieur, il se sentait plus coupable que victime ; coupable de ne pouvoir plus subvenir aux besoins vitaux de ses vieux parents.

 

Amor et Jazia sont partis à quelques jours d’intervalle, Habib leur a survécu trop longtemps à son goût, …à peine quelques semaines.

 

Ayant disparu aux yeux de ses voisins durant un temps indéterminé, on le retrouva allongé sur son lit, habillé du costume bleu nuit qu’il s’était fait couper en prévision de son mariage, une dizaine d’années auparavant, costume qu’il ne mit qu’une seule fois,  juste pour mourir.



[1] Je rappelle que ce grade de l’administration beylicale correspond à celui de sous préfet en France et celui de Mootamed de l’administration tunisienne actuelle. Le Kéhia correspond à la fois au Premier Mootamed du gouvernorat et il assumait également les fonctions de Secrétaire général de gouvernorat… Le Caïd ou El Gayed correspond au Préfet en France et au gouverneur d’aujourd’hui.

 

[2] La mise en disponibilité d’office est intervenue alors que mon père, était âgé de 46 ans ; ayant servi l’administration tunisienne depuis 1931, il s’est alors trouvé contraint de se créer d’autres moyens de subsistance pour lui et sa famille ; ayant obtenu suffisamment de diplômes en Droit au cours de ses études, il put exercer la fonction d’avocat pendant quelques huit ans, mais atteint en son honneur de patriote et déçu par l’ingratitude des nouveaux gouvernants, (son diabète qui était en latence pendant les années de pouvoir, acheva de le ronger), il décéda onze ans après sa mise en disponibilité, sans avoir atteint l’âge de la retraite.

 

[3] Dar Flen et Dar Foulen, pouvant désigner en tunisien, aussi bien le bâtiment (maison) d’untel ou untel que sa famille, le contenant et le contenu se remplaçant et se substituant respectivement…

 

[4] La notre ne commencera à être bâtie que vers la fin de l’année 52.

 

[5] L’une des rues historiques menant au cœur de la cité arabe, où Sellem tenait une petite boutique dans laquelle il exposait, plus qu’il ne vendait, des colliers, des bracelets et autres bijoux fantaisie, tous faits main et formés exclusivement de coquillages de mer savamment agencés par ses soins, et ce, presque en face de Sidi Abdelkader le Saint Protecteur de Nabeul…

 

[6] Le Bey comme chacun est censé le savoir c’était le Souverain roi de Tunis et de Tunisie.

 

[7] Chapitres du Coran.

 

[8] Que Dieu veuille bien accueillir Sidi Hmeïda en Son Infinie Miséricorde et lui accorde Son Grand Pardon.

 

[9] Sellem, que Dieu t’accueille en Son Infinie Miséricorde et t’accorde Son Grand Pardon !

 

[10] Abada qui figure sur une ancienne photo du Stade Nabeulien, à côté de l’équipe de basket des années 30, habillé d’un smoking blanc immaculé, que même mon père n’a jamais porté à ma connaissance…

 

[11] Les barbiers, qui à cette époque avaient plusieurs fonctions annexes, arrachaient effectivement les dents cariées des paysans trop pauvres pour aller consulter des dentistes, par ailleurs très rares à cette époque, même à Tunis.

 

[12] Mon frère Bédye était alors de forte corpulence, quasi-obèse, avant de devenir un véritable athlète imposant tant par sa taille que par sa musculature…Allah Yarhmou ! 

 

[13] Les cyclistes là où ils existent encore, ne font que réparer les vélos ou louer des motocycles ; à cette époque, ils réparaient, mais louaient également des vélos pour une heure ou pour une demi-heure. Le cycliste en question est encore en vie, il s’agit de H’ssen S que je revois de temps en temps déambuler dans les ruelles tortueuses de Nabeul que j’aime à parcourir, surtout en été.

 

[14] Ponton  construit par les Allemands durant la deuxième guerre mondiale et qui formait une espèce de jetée avançant dans la mer de quelque trente mètres, où venaient s’amarrer les embarcations légères de leurs bateaux de guerre qui restaient au large. Ponton nommé par les nabeuliens jusqu’à ce jour Lascala et dont je parlerai plus bas à l’occasion de ma pratique de la natation sportive.

.

 

 

 

 

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N
Bonjour je me prénomme nadia mère de 3 enfants. Je vivais à briouze avec mon mari, quand en 2018 il décida d'aller en voyage d'affaire à Bresil , où il tomba sur le charme d'une jeune vénézuélienne et ne semblait même plus rentrer. Ces appels devenaient rares et il décrochait quelquefois seulement et après du tout plus quand je l'appelais. En février 2019, il décrocha une fois et m'interdit même de le déranger. Toutes les tentatives pour l'amener à la raison sont soldée par l'insuccès. Nos deux parents les proches amis ont essayés en vain. Par un calme après midi du 17 février 2019, alors que je parcourais les annonce d'un site d'ésotérisme, je tombais sur l'annonce d'un grand marabout du nom ZOKLI que j'essayai toute désespérée et avec peu de foi car j'avais eu a contacter 3 marabouts ici en France sans résultât. Le grand maître ZOKLI promettait un retour au ménage en au plus 7 jours . Au premier il me demande d’espérer un appel avant 72 heures de mon homme, ce qui se réalisait 48 heures après. Je l'informais du résultat et il poursuivait ses rituels.Grande fut ma surprise quand mon mari m’appela de nouveau 4 jours après pour m'annoncer son retour dans 03 jours. Je ne croyais vraiment pas, mais étonnée j'étais de le voire à l'aéroport à l'heure et au jour dits. Depuis son arrivée tout était revenu dans l'ordre. c'est après l'arrivé de mon homme que je décidai de le récompenser pour le service rendu car a vrai dire j'ai pas du tout confiance en ces retour mais cet homme m'a montré le contraire.il intervient dans les domaines suivants Retour de l'être aimé Retour d'affection en 7jours réussir vos affaires , agrandir votre entreprises et trouver de bon marché et partenaires Devenir star Gagner aux jeux de hasard Avoir la promotion au travail Envoûtements Affaire, crise conjugale Dés-envoûtement Protection contre les esprits maléfices Protection contre les mauvais sorts Chance au boulot évolution de poste au boulot Chance en amour La puissance sexuelle. agrandir son pénis Abandon de la cigarette et de l'alcool voici son adresse mail : maitrezokli@hotmail.com vous pouvez l'appeler directement ou l 'Ecrire sur whatsapp au 00229 61 79 46 97
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