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11 avril 2011 1 11 /04 /avril /2011 16:38

      Monsieur  Denis, Faouzi Sbabti et Mongi Soussi…

 

     Lorsque je me remis plus ou moins de la disparition de papa, [1]je me décidai à rendre visite à maître Mondher Ben Ammar notre ministre, comme il m’avait gentiment invité à le faire.

 

     Le ministère était alors situé avenue Bab Benet, non loin du Palais de Justice de Tunis et sa façade, alors fraîchement ravalée, lui conférait une fière allure, avec de très larges marches de marbre blanc que je grimpai posément. Ma rencontre avec Feu Mondher B.A. notre élégant, et combien affable ministre, fut à son image, franche directe et courtoise. Après de sincères condoléances, il en vint directement au fait :

 

     Il avait pris connaissance de tous les rapports que j’avais adressés à l’administration centrale et en avait beaucoup apprécié le style, un peu trop littéraire pour l’administration, mais fort élégant ; et ce qui,  surtout, avait attiré son attention,  c’était la limpidité de la langue et l’absence de maladresses ou  de fautes dont il était largement abreuvé, à la lecture des autres documents qui lui étaient soumis, et il me demanda si j’étais intéressé par un poste administratif…il me laissait le temps d’y réfléchir…

 

     Maître B.A. n’attendait pas de réponse immédiate et je ne lui en fournis pas sur l’heure et je crois bien que j’avais bien fait, parce que, j’aurais eu alors plutôt tendance à refuser, et que cela m’aurait privé de son influence et de la formation administrative que j’ai commencé à acquérir un peu plus tard, sous son admirable direction…

 

    En début d’année scolaire 66/67, je devais rejoindre encore un nouveau collège, celui de La Goulette dont le directeur était l’un des derniers Français, sinon le dernier, à assurer la direction d’un collège tunisien.

 

     Monsieur Denis était aux antipodes de l’hypocrisie d'Yves Boulogne, qui lui avait déjà parlé de moi, en des termes que mon nouveau directeur n’a jamais voulu m’expliciter clairement, se contentant de m’apprendre, qu’il lui avait rétorqué qu’il n’avait pas peur de travailler avec les fortes têtes et que lui-même en était une ; et qu’il avait accepté sans hésiter ma mutation dans son collège, m’ayant vu, par deux fois, manager mes équipes de sports scolaires au palais de la foire de Tunis, ajoutant, à mon intention, que son collège avait de bonnes équipes qui pourraient rapporter des coupes,  et que, si cela venait à se produire, il en serait enchanté.

 

     A cette époque, rares étaient les directeurs de collèges et les proviseurs de lycées, à s’intéresser vraiment, à ce que faisaient les professeurs d’éducation physique et sportive ; ils attendaient simplement d’eux qu’ils tiennent en laisse leurs élèves et qu’ils ne les fassent pas  évoluer trop près des classes ; ils leur demandaient aussi de se débrouiller pour avoir le matériel qu’il fallait pour la conduite de leurs cours, n’ayant pas eux-mêmes de budget alloué à cet effet ; et si, en ce début de troisième millénaire, les choses ont, à peine changé, en léger mieux concernant l’équipement, la curiosité pédagogique des chefs d’établissements, envers l’éducation physique, reste largement absente, sauf à de très rares exceptions !

 

     Monsieur Denis, lui, personnalisait déjà cette exception quasi-unique durant ces années 60. Il avait signé une convention avec la municipalité pour avoir la jouissance exclusive, (pendant la journée),  du stade situé à moins de deux cents mètres et jouxtant la ligne du T.G.M, il se rendait lui-même aux deux ministères de tutelle[2]et s’arrangeait pour obtenir du matériel léger et des ballons. Il faisait même des quêtes auprès des enseignants et des parents d’élèves, pour alimenter la caisse des sports et  pouvoir offrir repas et rafraîchissements à ses équipes, lors de leurs déplacements ; et il n’est pas superflu de souligner qu’il était le premier et le plus généreux des donateurs de cette caisse…

 

     Monsieur Denis, à la nette différence d'Yves Boulogne, était un éducateur de la trempe de mon maître d’école Monsieur Couret, de celle de Monsieur Hann mon professeur de Khaznadar, de celle encore de mes très nombreux professeurs de l’INS de Paris (et de Jussieu que je fréquenterai plus tard) ; ces Français qui font honneur, tant à la culture et à la civilisation françaises, qu’au sens de l’honneur et au respect dû aux autres peuples, honneur et respect, caractéristiques de la France, c'est-à-dire, de la grande majorité des Français[3].    

 

     Le courant passa immédiatement entre Monsieur Denis et moi ; j’avais alors un collègue français originaire de Tarascon, grand amateur de rugby et éminent éducateur, barbu et sympathique, mais quelque peu rigide quant aux principes de respect mutuel et qui appréciait peu, les plaisanteries de monsieur Denis qui le traitait parfois de Tartarin.[4]Monsieur Denis était un bon vivant aux allures joviales, toujours la main sur le cœur, mais pas toujours très fin psychologue ; et il heurtait, sans le vouloir, la susceptibilité de certains collègues, parmi lesquels celui en question, dont je ne me rappelle plus le nom, chassé de ma mémoire par ce surnom injuste, car ce collègue n’avait rien d’un vantard ni d’un menteur.

 

    Comme j’avais, à peu près, le même emploi du temps que ce collègue, Monsieur Denis nous servait parfois du café, préparé par son épouse, et dont elle avait rempli toute une thermos ; il aimait bien partager avec nous ce café,  entre deux cours, dans notre bureau vestiaire ; il aimait bien aussi assister à quelques séances d’éducation physique, mais surtout, aux entraînements de nos équipes sportives scolaires et il aimait beaucoup ma façon de conduire et de gérer, les entraînements et les matches officiels…

 

     Cette année là, comme les précédentes, j’avais eu la chance de trouver des élèves extrêmement doués et je sus en tirer le meilleur parti, axant mon travail technique sur le développement de leurs points forts, tout en les conseillant et en les responsabilisant dans la correction de leurs points faibles ; et ma démarche stratégique fut toujours de renforcer leur solidarité et leur complémentarité.

 

    Ce travail donna naturellement ses fruits, grâce aussi, sinon surtout, aux encouragements constants du directeur dont la présence aux entraînements et à la plupart des matches, dopait les élèves, sans oublier les bonnes dispositions physiques et la grande motivation de ces derniers. A la fin de la saison sportive scolaire, j’eus le plaisir de recevoir, des mains mêmes de maître Mondher Ben Ammar qui présidait les finales scolaires, deux coupes, celle des juniors en handball et celle des cadets en basket-ball et que je remis chaque fois, à Monsieur Denis, exultant et installé, comme un pacha, à la tribune d’honneur !!

 

     Je me souviens que durant cette année là, j’avais remarqué les qualités exceptionnelles de quelques élèves, notamment celles de Faouzi Sbabti, et ce, dès le premier trimestre lors des matches interclasses, que nous organisions toujours pour pouvoir sélectionner les meilleurs éléments de l’établissement ; ces matches opposaient toutes les classes de même niveau et donnaient l’occasion, dans le collège de  monsieur Denis, à une véritable fête, à laquelle le directeur conviait certains profs et parents d’élèves, donateurs de l’association.

 

     Cette fête sportive s’étalait sur deux semaines et était couronnée par les finales entre les meilleures classes.

 

     Faouzi Sbabti faisait partie, et de l’équipe de Basket et de l’équipe de handball de sa classe, ce qui était permis au niveau des interclasses et il brillait autant, dans les deux sports. Il évoluait alors dans l’équipe civile de Goulette Kram et préférait le basket, étant de grande taille et ayant des bras musclés, mais très longilignes ; mais tout en étant très bon dans les deux sports, je détectais en lui le futur meilleur joueur de handball de Tunisie, sport qui comptait surtout à cette époque là, des joueurs à forte carrure et qui misait insuffisamment sur les habiletés techniques, étant axé, surtout, sur l’engagement physique.

 

     A la fin de cette fête, l’équipe de Sbabti avait remporté deux finales interclasses, en basket et en handball. Je le pris à part et lui conseillais de contacter l’Espérance Sportive de Tunis ou le Club Africain, en lui disant, qu’à défaut, il resterait un bon joueur, mais ne deviendrait jamais le meilleur ! Tout étonné et ravi, il me répondit qu’il était déjà licencié et que son club de basket ne lui accorderait jamais sa mutation à une autre association ! Je lui précisais que je voyais en lui le futur meilleur joueur de handball et non de basket et que n’étant pas licencié en ce sport, le problème de mutation ne devrait pas se poser.

 

     Ayant alors deux amis entraîneurs, l’un au Club Africain, l’autre à l’E.S.T. je les alertais tous les deux[5] ; et ce fut celui de l’Espérance qui réussit à convaincre, plus vite, les dirigeants de son club, à procéder au recrutement de Faouzi. C’est ainsi, que celui-ci intégra l’équipe de hand de l’E.S.T et en devint effectivement, quelques temps après, le meilleur joueur, puis dans la foulée, le brillant capitaine de l’équipe nationale, son ascension coïncidant avec la fin de l’apogée de Mounir Jlili, l’autre phénomène du handball tunisien de cette époque.     

 

     Durant cette année à la Goulette, j’eus également l’occasion d’infliger un démenti cinglant à l’inspecteur principal Yves Boulogne, qui a toujours essayé de me faire passer pour un professeur incompétent, qui n’accorde aucune attention à la préparation de ses cours et qui néglige totalement ses différents documents pédagogiques réglementaires.

 

    Vers le mois de mars, je reçus la visite d’un inspecteur nouvellement confirmé dans son grade qui s’était fait accompagner de Monsieur Denis pour venir prendre contact avec moi au stade où je venais à peine d’arriver avec mes élèves ; il était 8 heures du matin, passées de quelques minutes, et notre visiteur m’annonça qu’il était mandaté pour procéder à mon inspection de titularisation.

 

     J’acquiesçais de la tête, en adressant un sourire entendu à Monsieur  Denis, avec l’air de lui signifier, ça y est voila encore une attaque d'Y Boulogne. L’inspecteur me demanda mes documents que je lui remis et, mes élèves étant prêts, je lui demandais d’un air légèrement ironique, si je pouvais y aller. Monsieur Denis demanda à l’un de mes élèves d’installer une chaise pour Monsieur l’inspecteur sur le bord du terrain et prit congé de nous, avec un sourire encourageant, à mon intention.

    

     J’appris quelques semaines plus tard, que Mongi Soussi, l’inspecteur dont s’agit, avait fait sa maîtrise à l’ENSEPS de Paris, qu’il était par ailleurs un athlète de haut niveau ayant même participé aux éliminatoires du 400m haies des jeux méditerranéens et qu’il était compétent, intègre et assez sympathique. Mais pour l’heure, j’avais en face de moi un bonhomme assez râblé, aux cheveux crépus et à la barbe en collier, ce qui lui donnait un air plutôt austère ; je le soupçonnais, en plus, d’avoir été mandaté par Y B pour me sacquer.

 

    Je dirigeais néanmoins mon cours comme à mon habitude, sans me préoccuper de sa présence et à la fin de la séance, je raccompagnais mes élèves à leur vestiaire, en leur faisant les recommandations usuelles de célérité, afin d’évier qu’ils ne soient en retard au cours suivant. En me retournant pour rejoindre mon propre vestiaire, je me trouvais nez à nez avec l’inspecteur, qui m’avait suivi sciemment pour pouvoir entendre tout ce que je disais à mes élèves.

 

     Il me sourit et me dit qu’on pouvait ajourner notre entretien, à moins qu’on ait le temps de discuter pendant quelques minutes avant mon prochain cours, ce qui était le cas, puisque dix bonnes minutes étaient nécessaires à la classe suivante, pour qu’elle rejoigne le stade et se tienne prête.

 

     Nous nous installâmes à une table et il commença un discours plutôt élogieux, en tous points comparable au début de celui de mon inspecteur  de l’Ariana. Je le laissais faire sans réagir, ni sourire à ses compliments, m’attendant à la suite…mais au bout d’un moment, je ne pus m’empêcher d’anticiper sur ce que je pensais devoir suivre, en lui disant d’un air narquois mais ?   Il fut légèrement déconcerté par cette facétie quelque peu provocante et me répondit, en fronçant les sourcils : «  Il n’y a pas de mais qui tienne Monsieur Haouet, vous avez été brillant et vous méritez largement d’être titularisé et c’est ce que je vais proposer dans mon rapport. »

 

    C’était mon tour d’être décontenancé et, tout confus, je m’excusai et m’expliquai, en lui relatant certaines péripéties ayant parsemé jusque là, mon parcours professionnel…Il m’écouta attentivement durant près de cinq minutes et il aurait pu le faire bien plus longtemps…, mais entendant mes élèves arriver et me voyant me taire, prêt à les recevoir, il prit congé en me disant, monsieur Haouet, vos prestations sont excellentes et méritent la note de 16/20, c’est exceptionnel pour un rapport de titularisation, mais c’est 16/20 que vous aurez, même si cela pourrait déplaire à quelqu’un.  

 

    Il me faudra attendre une dizaine d’années, pour qu’il me soit donné de rencontrer à nouveau, Mongi Soussi.

 

     Ce fut lors de la préparation de ma thèse, à Paris en 1978 ; j’appris qu’il avait eu des difficultés à s’intégrer dans le milieu professionnel en Tunisie et qu’il avait décidé de retourner s’installer définitivement en France. Il me fit savoir, qu’après avoir simplement enseigné dans un lycée français, il venait de décider d’entreprendre des études de médecine, il avait alors 45 ans !!! J’en avais à l’époque à peine 38, et je pensais pouvoir  être légitimement fier de ma petite personne, pour avoir entrepris et réussi un DEA ; et pour avoir eu le courage de me faire mettre en disponibilité, pour pouvoir achever mon doctorat. 

 

     Bien évidemment, je pris conscience alors, que le mérite et le courage de Mongi étaient, de loin, supérieurs aux miens. Par le plus grand des hasards, Mongi Soussi habitait le même immeuble que mon ami Hédi B A, qui, lui aussi, après avoir séjourné plusieurs années en Allemagne, avait choisi de s’installer à Paris ; et c’est au cours d’un repas tunisien, que tous les deux avaient préparé en l’honneur de notre couple de nouveaux mariés, (Alia et moi) que j’appris cette décision que venait de prendre de Mongi d’entreprendre de si longues études à son âge, j’ai dû m’incliner bien bas devant son courage…Je n’ai plus eu le plaisir de le rencontrer à nouveau depuis, mais je souhaite qu’il ait pu les mener à bien jusqu’à leur terme[6]

 

     Avant de quitter ce collège de La Goulette, où j’avais passé la première année ayant suivi le décès de Si Hmeïda mon père, je me dois de reconnaître et d’exprimer, une faute professionnelle, pour l’expurger de ma conscience et me la pardonner à moi-même, cette erreur ayant eu, trop longtemps pour moi, le caractère du non-dit quelque peu  névrotique.

***

     Depuis la disparition de mon père et jusqu’à aujourd’hui, chaque année durant la deuxième semaine du mois de mai, je passe par une période critique, avec une humeur, à la fois triste et agressive ;  et, à cette époque, durant ce mois de mai 67, de surcroît  un lundi, jour que j’ai toujours exécré, tant écolier, qu’étudiant,  et déjà bien avant que mon père ne décède, un lundi matin, je me conduisis envers l’un de mes élèves de manière impardonnable.

 

     Ce jour là, j’étais dans des dispositions psychologiques assez lamentables et j’avais même hésité à me rendre à mon travail, mais je m’y étais forcé, devant rassembler l’équipe de handball pour un entraînement supplémentaire entre midi et 14 heures.

 

     Or, dans une ou deux de mes classes, il y avait quelques éléments, assez insupportables, qui mettaient beaucoup de mauvaise volonté à courir et à s’échauffer, ou encore à exécuter les exercices d’assouplissement et de musculation nécessaires. Ils traînaient, tout en protestant mollement et en réclamant que je les fasse jouer, tout de suite, au ballon… 

 

     Généralement, je les laissais maugréer sans réagir, mais parfois, quand il s’agissait d’un récidiviste ou de quelqu’un de particulièrement indiscipliné, je le punissais en lui imposant de faire une vingtaine de flexions complètes des jambes ou une quinzaine de flexions/répulsions des bras. Par malchance, l’un de ces élèves, auquel, j’avais, en ce mauvais jour, infligé les deux punitions à la fois, avait bâclé les répulsions de bras, en en faisant, mal, trois ou quatre et avait refusé d’exécuter les flexions de jambes, prétextant un muscle froissé et douloureux à la cuisse… 

 

     Même en sachant qu’il s’agissait là, d’un faux prétexte, j’aurais dû renoncer aux flexions de jambes et trouver un autre exercice à lui imposer, mais je m’étais braqué et, en le menaçant de lui mettre une raclée dont il se souviendrait longtemps, si jamais il persistait dans son refus, j’avais réussi à lui faire commencer ces fichues flexions ; qui plus est, comme il ne faisait que des moitiés de flexions et que je m’étais moi-même beaucoup trop emporté, je mis brutalement mes mains sur ses épaules et l’obligeai, assez rudement, à aller plus à fond dans ses flexions ; il n’était pas très musclé des jambes, et au bout de trois ou quatre flexions complètes, il était rouge de colère et, se remettant debout,  il se dégagea brusquement de mon emprise sur ses épaules, et me fit face, en me défiant du regard et en marmonnant une insulte qui, à vrai dire, ne fut pas articulée, mais que je crus lire sur ses lèvres…

 

     J’avais décodé, à tort ou à raison, une insulte envers mon père et je vis rouge ; une première gifle violente, puis une seconde, giclèrent ; surpris et humilié devant ses camarades, il me bouscula et proféra des menaces, ce qui acheva de me mettre totalement hors de moi…quelques instants après, il fallut quatre ou cinq élèves pour me ceinturer et stopper l’avalanche de coups, que dans ma folie, je lui administrais à tour de bras ; il avait la bouche sanguinolente, un œil tuméfié et une oreille tellement enflée qu’elle avait doublé de volume…J’étais tellement énervé que je n’éprouvais, sur le moment, aucun remord et que, s’il ne s’était pas rapidement éclipsé en compagnie de l’un de ses camarades en direction du collège, je n’aurais sans doute pas hésité à le malmener davantage.

 

     Mais une heure plus tard, ma colère tombée, j’étais submergé de remords et je m’en voulais tellement que, s’il avait été là, je n’aurais pas hésité à l’embrasser et à lui demander humblement pardon. Malheureusement il était parti, et j’appris que, de surcroît, il avait reçu une autre correction, de la part de Monsieur Denis !

 

     En effet, celui-ci était dans son bureau, lorsque l’élève en sang, avait fait irruption en criant et en proférant menaces et insultes ;  et, lorsqu'à travers les cris et les sanglots, le directeur avait compris que c’étais moi qui m’étais rendu coupable de cette sauvagerie, et, ne me connaissant pas ces manières violentes, il ne douta pas un seul instant que j’avais été agressé en premier et en déduisit aussitôt que,  je fus obligé de me défendre.

 

     Lorsque je me rendis auprès de lui, Monsieur Denis, m’écouta calmement lui expliquer que c’étais moi, qui étais dans mon tort et que, de toutes manières, je n’avais pas le droit de frapper cet élève pour des raisons subjectives, puisque, en ma présence, il n’avait articulé aucune insulte ou même aucune menace, avant les gifles et les coups dont je l’avais assommé. Puis, il me dit qu’effectivement, j’avais eu tort de m’emporter et de le frapper, mais que, ce qui était fait était fait, et que, ayant lui-même, eu en face de lui, ce grand gaillard de 18 ans, connu pour son indiscipline et ses nombreuses bagarres, en train de crier et de proférer des menaces, il avait à son tour perdu son calme et l’avait roué de coups,  en le jetant en dehors de son bureau.

 

    Il alla même jusqu’à me proposer de le traduire devant le conseil de discipline et de lui infliger quelques jours de renvoi pour indiscipline et menaces envers un enseignant, ce que je refusai tout net, lui disant que je méritais, davantage que lui, le conseil de discipline…

         

     En fait, si cette regrettable affaire était parvenue aux oreilles de monsieur l’inspecteur principal Yves Boulogne, celui-ci aurait eu, pour une fois, de bonnes raisons de me faire traduire devant ce fameux conseil, par-devant lequel, il rêvait de me faire comparaître un jour,  et il ne se serait certainement pas privé de l’immense plaisir que cela lui aurait, sans aucun doute, procuré !!!

 

     Quant à Monsieur Denis, je le soupçonne fortement d’avoir été très partial dans cette triste affaire, et ce, pour des raisons directement liées à la quasi-certitude qu’il avait acquise, en cette période de préparation des finales scolaires, que j’allais lui rapporter une coupe,  sinon deux, qu’il appelait de tous ses vœux, et pour l’obtention desquelles, il n’a, à mon avis, pas hésité à se montrer, doublement injuste, envers cet élève que j’avais déjà, très injustement, humilié et agressé…

 

     Aujourd’hui, je m’en veux surtout de ne pas avoir eu le courage de présenter mes excuses à ce jeune, lorsqu’il avait réintégré ma classe, une semaine plus tard, en me regardant par en dessous, plus par crainte que par méchanceté. Et aujourd’hui, je ne peux même pas libeller ces excuses précisément en son nom, ayant oublié depuis très longtemps son identité…Il ne me reste plus qu’à espérer, qu’il ne m’en ait pas trop longtemps voulu, et qu’il ait fini par me pardonner mon injustice et ma sauvagerie.  

 

     Cette dernière manifestation de mes élans agressifs et méchants, avait pris place au mois de mai 1967, j’avais près de 27 ans et pour le moment, pour des considérations tant organisationnelles qu’affectives, je vais clore cette première partie du récit de mes pérégrinations, me promettant d’en attaquer aujourd’hui même, ce mardi 16 mai 2006, donc 40 ans, jour pour jour, après le départ de mon père Si Hmeïda, une deuxième partie que je consacrerais, si Dieu me prête vie jusque là, aux trente années qui suivirent et qui s’achèveront le 24 décembre 1996, le jour où ma mère, celle qui fut, et qui demeurera toujours  pour moi, la très belle Mongia,  partit le rejoindre… tout doucement, sans faire de bruit….

    

La Marsa, le mardi 16 mai 2006 à 10h55.



[1] En fait, pour la majorité des êtres humains, on ne se remet jamais totalement de la perte de ses géniteurs, on véhicule cette double déchirure enfouie en soi, jusqu’à sa propre mort …

 

[2] L’éducation physique a toujours 'bénéficié' de la double tutelle du ministère de la jeunesse et des sports et de celui de l’Education nationale, ce qui lui vaut d’être négligée par les deux, chacun des deux ministères, prétendant que c’est à l’autre de subventionner ce secteur…

 

[3] Majorité, aujourd’hui encore assez large mais, qui va hélas s’amenuisant, sous l’effet de Bush le président de la planète et des politiciens français plus bushisants (malfaisants) et plus buschistes (extrémistes) que Bush fils lui-même, si l’on peut. 

 

[4] En allusion à un célèbre roman d’Alphonse Daudet,  « Tartarin de Tarascon », dont le héros était un menteur invétéré, doublé d’un vantard incorrigible.

 

[5] Respectivement Saïd  Ben Amara et Brahim  Erriahi.

 

[6] En vérité, je n’ai aucune inquiétude à ce sujet, des dizaines de professeurs d’éducation physique, avant et après lui, ont réussi brillamment des études en médecine, les programmes des deux cursus ayant de nombreux troncs communs, en matière d’anatomie et de physiologie, notamment…

 

 

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