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22 avril 2011 5 22 /04 /avril /2011 18:59

Alia

 

Entre l’âge de quinze et vingt ans, j’étais souvent chez Habib Félah, mon camarade de classe du lycée Khaznadar, copain de basket et compagnon préféré de l’été, pour les longues balades le long de la plage et pour les baignades répétées, à toute heure de la journée et même de la nuit.

 

La maison Félah, située à un jet de pierre de la nôtre, était toujours pleine à craquer de gens de la maison et d’invités de tous bords, mères[1], tantes, frères, sœurs, cousins, cousines, bonnes et jardiniers multiples y vaquaient constamment…

 

Il y régnait une telle agitation que, pendant longtemps, j’ai été incapable de distinguer les sœurs des cousines ou des voisines, et évitant de poser des questions, qui eussent pu être indiscrètes, je me contentais de me mêler un moment à la joyeuse cohue, d’échanger de brefs saluts avec tout le monde, pour ensuite, le plus souvent, sortir avec Habib, pour nos longues ballades, nos échanges de confidences et nos discussions plus ou moins blasées, n’ayant aucunement pour ambition de refaire le monde…  

 

Bien qu’avant l’âge de 20 ans, je n’eusse pas vraiment fait attention aux sœurs d’Habib, (beaucoup trop jeunes et un peu trop nombreuses), je me souviens cependant que, lors des dernières années de mon mariage avec Néjette, l’une d’elles, Alia dont Habib me disait qu’elle était excellente en français, commençait à devenir une petite jeune fille à plus d’un titre intéressante…

 

Elle avait une bonne tête et des répliques toujours intelligentes, parfois mêmes cinglantes d’ironie ; elle était en outre, très jolie; et les bikinis qu’elle arborait souvent pour aller se baigner, mettaient en valeur son beau corps d’adolescente.

 

Mais ce qui me plaisait par-dessus tout en elle, c’était sa discrétion et son allure réservée…

 

Elle répondait à mes salutations poliment et toujours en souriant ; et sachant bien que j’étais l’ami de son frère, elle me donnait de ses nouvelles, quand celui-ci n’était pas encore renté de France pour ses vacances estivales…

 

Nos conversations étaient ainsi, souvent courtes, et toujours empreintes d’amabilité…sauf en ce jour de juillet 67 !

 

Je venais alors d’avoir une dispute avec Néjette, à laquelle je reprochais qu’elle ait planté Adnène en plein soleil, la tête nue, à coté d’un parasol délaissé également par elle-même, qui, assise sur la plage devant notre maison, était occupée à se maquiller, d’une manière, que je trouvais, non seulement outrancière par les couleurs trop vives à mon goût, mais aussi indiscrète, voire provocante, par la façon quelle avait eu à s’afficher ainsi, sans retenue aucune, alors qu’elle aurait eu tout le loisir de se maquiller à l’intérieur de la maison…

 

Furieux, mais voulant éviter un esclandre, j’avais posé un bonnet mouillé sur la tête d’Adnène, âgé à peine  de deux ans et demi, et j’étais parti vers Lascala, à grandes enjambées, nonchalantes, seulement en apparence. 

 

Arrivé devant la grande allée recouverte de gravillons qui séparait la route de la villa des Félah, je vis Alia, âgée alors à peine de quinze ans, qui s’avançait dans la direction de la plage.

 

Elle était mignonne dans un bikini en cuir noir, avec une écharpe légère qu’elle utilisait comme cache-maillot et elle portait des espadrilles encordées et hautes qui donnaient à ses belles jambes, l’air d’être plus élancées…

 

En m’approchant pour la saluer et lui demander des nouvelles d’Habib, je fus surpris de remarquer qu’elle avait le visage fardé et les lèvres recouvertes de rouge !

 

C’était un comportement innocent de gamine qui voulait jouer à la jeune fille émancipée, mais sur le coup, moi qui n’étais que le copain du frère et qui n’avais sur elle, absolument aucun droit de regard, je m’insurgeai d’une manière, aussi inattendue pour elle que pour moi,  et je m’écriai à la face de la petite jeune fille pure (que je voulais inconsciemment protéger de toute velléité d’exhibitionnisme malsain) :

 

Mais qu’est ce que cette débauche de couleurs dont tu t’es peinturluré le visage… toi aussi, tu veux jouer à la femme fatale ???  

 

Elle était à mille lieues de s’attendre à cette attaque, aussi brutale que déplacée, et elle me répliqua, vertement et fort à propos : que cela ne me regardait en aucune façon et qu’elle était libre de se maquiller, comme elle le voulait et quand elle le voulait…mais elle était vexée et pensant, peut être, (à tort), que son maquillage n’était pas réussi, elle me tourna le dos et revint précipitamment chez elle…

 

Je l’entrevis ensuite plusieurs fois, d’un été à l’autre ; d’abord elle sembla éviter de me croiser en faisant celle qui ne m’avait pas vu, puis sa nature conciliante reprit le dessus et elle cessa de m’éviter…

 

Je la rencontrai quelques années plus tard, alors qu’elle faisait déjà son droit à la faculté de Tunis.

 

Ce fut surtout durant la période où j’avais décidé que Jélila ne me convenait, ni par sa carcasse fortement charpentée, ni par son ego indécis, que je tombai en arrêt devant Alia à Nabeul, au moment où elle s’engageait sur la route de la plage, visiblement pour rentrer chez elle.

 

Je revenais moi-même du bord de mer où j’étais allé faire un tour en voiture et sa silhouette fine et élégante avait forcé mon regard ; la reconnaissant de suite, je fis demi-tour et l’abordai en souriant, la tête en dehors de la vitre baissée.

 

En acceptant de se faire conduire chez elle, elle m’apprit chemin faisant que sa sœur aînée se mariait le samedi suivant et je sautai sur l’occasion pour lui demander si elle-même était fiancée, tout en me traitant d’imbécile pour ne pas avoir songé à elle, avant Tej El molk, Jélila et consorts… 

 

Alia avait alors 25 ans, j’en avais presque onze de plus et cela faisait onze ans que je l’avais agressée au sujet de son barbouillage au fond de teint et au rouge à lèvres, la jeune fille que j’avais en face de moi était maquillée avec goût et sobriété, elle avait un beau visage, des yeux pleins de malice et des cheveux auburn magnifiques, et je priai Dieu pour qu’elle soit encore libre…

 

A l’âge des amourettes, elle avait été éprise d’un garçon, puis elle en avait connu un autre, avec lequel elle fit quelques sorties en copains, puis encore plus tard, elle avait été presque fiancée à un futur juge, mais elle n’avait pas été convaincue par son environnement familial de l’extrême sud, dont les coutumes et les conceptions ne correspondaient pas à ses attentes…

 

Mais en ce début juin 76, au moment de notre rencontre, elle était libre de toute attache…et je décidai de ne plus la lâcher. 

 

Durant la fête de mariage de Selma sa sœur, je ne la lâchai effectivement pas d’une semelle, la courtisant ouvertement aux yeux de tous les invités, poussant même les choses, jusqu’à me mettre à arranger avec elle les chaises autour des tables des invités.

 

A la réaction de ses jeunes sœurs et surtout à celle de Tata Jémila, sa maman, qui m’avait connu tout gamin, je compris que je s’il ne s’agissait que d’obtenir leur agrément, je pourrais me hasarder à demander sa main, malgré mon divorce (et mon fils) et malgré notre différence d’âge…mais il s’agissait surtout d’obtenir l’accord de Si Mohamed son père.

         

Celui-ci avait été le président de la chambre d’appel de Tunis qui avait accéléré mon divorce en 71/72 et il connaissait toute mon histoire.

 

Il avait très bien connu mon père et ils s’étaient beaucoup appréciés mutuellement.

 

Lorsqu'en 1952, mon père avait requis l’aide d’un ami personnel du brigadier chargé de mettre à exécution le programme de harcèlement dont il était l’objet de la part du contrôleur civil de Nabeul (qui l’avait fait assiéger en son bureau et qui le soumettait à une filature en règle durant tous ses déplacements), il avait trouvé alors le jeune juge cantonal, Mohamed Félah, chez cet ami du brigadier.

 

Si Mohamed avait alors réconforté Si Hmeïda mon père et beaucoup insisté pour que ledit commerçant incitât son brigadier d’ami à se désolidariser du contrôleur civil, ce qui eut effectivement lieu…

 

Qui plus est, en 76 au moment de mes retrouvailles avec Alia, j’étais de nouveau en contact cyclique avec son père qui avait bien voulu me conseiller et m’assister dans le procès qui opposait ma famille à ma grand-mère au sujet de la maison de la plage dont elle voulait nous déposséder.

 

J’avais bien remarqué que Si Mohamed avait de la sympathie pour moi, qu’il appréciait le fait que je ne me sois pas laissé intimider et que je défende, bec et ongles dehors, les intérêts de ma famille, mais il avait toujours gardé une espèce de détachement professionnel, qui le rendait à mes yeux plutôt intimidant et j’appréhendais le moment où j’allais devoir lui demander la main de sa fille…

 

Il fallait pour cela une détermination et un aplomb que je craignais ne pas avoir en sa présence.

 

D’un autre coté, je ne voulais pas me laisser envahir par le doute et avoir à le regretter par la suite, aussi, tablant uniquement sur le fait qu’Alia ne m’ait pas découragé dans la cour que je lui faisais, et sans même lui en avoir parlé au préalable, je décidai de me jeter à l’eau, une quinzaine de jours après le mariage de sa sœur.

 

Ce jour là, je m’apprêtais à prendre congé de Si Mohamed dans son bureau du palais de la justice à Tunis où il venait de me faire savoir qu’il s’attendait à un jugement favorable dans notre procès familial.

 

En fait, pour le rencontrer, le procès n’avait été qu’un alibi et j’avais prémédité de ne même pas l’aborder ...

 

Je fus frustré qu’il en parle de lui-même, me rendant du même coup la tâche plus difficile ; et j’allais me résigner à le remercier et à partir sans aborder l’objet réel de ma visite, lorsque, comme dans une séquence où je n’étais que le spectateur ébahi, je m’entendis m’adresser à lui en ces termes :

 

Si Mohamed, avec votre permission, je me propose d’envoyer ma mère demander la main de votre fille Alia, et bien que, ni le moment, ni l’endroit ne soient vraiment indiqués, j’ai l’honneur de vous la demander officiellement !

 

Surpris et un moment décontenancé par mon aplomb, à l’avoir ainsi affronté en son bureau et ce, lors d’une entrevue qui avait pour lui un tout autre objet, il me fit les gros yeux, sans réussir à masquer totalement sa satisfaction et il me rabroua, en me disant, qu’effectivement, le moment et l’endroit étaient particulièrement mal choisis pour lui demander la main de sa fille

 

Mais il n’avait pas dit non !!! 

 

Selma la sœur aînée de Alia avait fait l’objet de plusieurs demandes de mariage par des partis intéressants, un riche cousin propriétaire terrien, un juge, un professeur d’arabe poète et d’autres encore…

 

Toutes ces demandes ne l’avaient pas convaincue pour diverses raisons discutables ; et elle s’était finalement entichée d’un jeune de la région qui, bien qu’appartenant à une famille honorable, avait une réputation morale douteuse et des occupations professionnelles peu valorisantes.

 

Si Mohamed qui rêvait pour ses filles d’alliances autrement plus reluisantes, avait été ulcéré de devoir céder devant la détermination obstinée de sa fille aînée et de la marier à un gendre, qui n’avait à ses yeux ni charme, ni prestige. 

 

Lui-même, tout jeune diplômé au début des années 40, après avoir quitté son village natal de Testour, pour des études tunisoises, avait été parrainé par un tunisois de souche qui l’avait marié à l’une des filles de ses proches.

 

Sa jeune épouse lui donna un fils, Habib mon copain, et décéda des suites d’une mauvaise bronchite, le laissant avec un enfant en bas âge. Peu de temps après, il se remaria avec la fille d’un riche agriculteur du Kef où il venait d’être affecté et sa nouvelle épouse n’avait fait aucune objection quant à son fils et l’avait élevé, comme s’il s’était agi du sien propre, à tel point que, je n’ai su que sur le tard, que la mère biologique d’Habib était décédée et que Tata Jémila n’était que sa belle-mère.

 

Je suis convaincu que ce sont ces circonstances qui ont joué en ma faveur, conjuguées qu’elles avaient été au fait que j’avais alors une belle prestance physique, un poste de responsabilité dans l’administration et une appartenance familiale respectable et respectée.

 

Lorsque je sollicitai ma mère pour qu’elle aille demander la main d’Alia à sa propre mère, elle fut tout heureuse de ma décision, elle ne savait pas qui était précisément Alia, parmi les nombreuses filles Félah, mais elle connaissait bien Ella Jémila et également Ella Fatma Zarka[2], l’autre épouse de Si Mohamed et elle les aimait bien toutes les deux.

 

Et lorsque le lendemain, ma mère rendue chez les Félah, usa de la formule consacrée pour toute demande en mariage[3], elle eut, en première réponse, le duo des youyous de joie des deux mères ; puis Tata Jémila, rayonnante, ajouta d’un air enjoué, qu’elle serait heureuse et honorée d’agréer cette demande, mais qu’il fallait lui laisser le temps de prendre l’avis de Si El Félah[4]et celui d’Alia.

 

En fait ce n’était là que respect formel de la tradition, Si Mohamed aussitôt que j’eus quitté son bureau la veille, avait tout de suite téléphoné chez lui pour annoncer ma demande.

 

Il avait même pris la précaution de parler directement à Alia pour l’influencer favorablement ; celle-ci étant alors à la faculté de droit de Tunis, habitait dans l’appartement de son père à l’avenue de Paris, en vis-à-vis de l’ancien cimetière juif transformé en jardin public ; et, juste avant le dîner, Si Mohamed, faisant asseoir sa fille en face de lui, prit un air mi-grave mi-joyeux pour lui annoncer que  quelqu’un avait demandé sa main.

 

Alia ne songea pas tout de suite à moi, car leur voisine de palier qui avait déjà demandé la main de Selma pour le poète, était revenue à la charge pour jouer de nouveau à la marieuse et proposer à Alia, un autre prétendant, lui vantant ses mérites personnels et son appartenance sociale et, sans réagir aux propos de son père, celle-ci pensa furtivement qu’il s’agissait de ce prétendant là.

 

Mais Si Mohamed ajouta aussitôt qu’il s’agissait d’un nabeulien de souche et lui précisa qu’il s’agissait de moi, en lui déclinant mon nom. Voyant qu’Alia ne bronchait pas davantage, et appréhendant qu’elle ne fasse des objections, il lui dit d’une seule traite et d’un air empressé qu’il voulait convaincant :

 

« Ecoute moi bien ma fille, Taoufik c’est l’ami d’Habib ton frère, nous connaissons sa famille et moi je le connais sur le bout des doigts, ajoutant que j’étais un bon garçon, que j’étais le fils de Si Hmeïda son ami, qu’il me considérait lui-même comme son propre fils ajoutant encore que, quant à mon fils (Adnène), il ne pose pas problème, puisqu’il est confié à la garde de sa grand-mère à Tunis 

 

En fait, ce qui préoccupait Alia n’était pas là… aussitôt qu’on m’avait vu la courtiser durant le mariage de sa sœur, des âmes charitables lui avaient appris, que j’étais un coureur de jupons, que dans mon logement de fonctions défilaient en permanence mes nombreuses conquêtes parmi les touristes et les autres, lui citant des exemples et des noms précis de ces autres, ajoutant sans avoir l’air d'y toucher, ni de vouloir la décourager, qu’il apparaîtrait par ailleurs, que je fusse assez autoritaire, voire brutal,  de caractère…

 

C’est pourquoi, mettant en balance, ces ragots de commères avec la frustration que son père avait vécue de devoir mal marier sa fille aînée, sachant à quel point il accordait de l’importance à s’allier à une bonne famille de Nabeul, elle lui répondit posément, non sans malice, puisqu’elle se disait en son fort intérieur, que j’étais quand même l’un des plus beaux garçons de Nabeul[5] :

 

Papa, il est clair que Taoufik te plait et que sa famille te convient ; et pour moi, c’est ce qui compte par-dessus tout ; puis, se forçant quand même un peu à cause des commérages, elle ajouta, pour ne pas donner à son père  le sentiment qu’il forçait sa décision : en fait je n’ai aucune raison de le refuser, au contraire, il est beau et il a une bonne situation, quant à son fils, il ne me gène pas du tout.

 

Cette discussion avait eu lieu vendredi, le jour même de ma demande peu protocolaire et pour le moins inattendue, mais je n’en eus vent, que bien plus tard, aussi, avais-je alors quelques appréhensions…

 

La demande plus classique et protocolaire, s’était faite par Maman le lendemain, samedi, alors que j’étais parti la veille à Sfax où je devais donner une conférence devant un auditoire de professeurs et d’entraîneurs de sport du centre sud ; et je dus attendre le dimanche après-midi, pour être définitivement fixé ou presque…

 

Vers midi, je me rendis en voiture à la plage où je savais que j’avais de grandes chances de rencontrer Alia ou l’une de ses sœurs…

 

Effectivement, je vis tout un groupe de jeunes filles en jeans et elles se mirent toutes à sourire d’un air complice à ma vue ; et comme j’étais incapable de distinguer les filles Félah de leurs voisines, je me contentai de m’adresser à tout le groupe en disant : allez voir Alia et dîtes lui que je viendrai la chercher vers 15h pour une promenade à Hammamet…

 

Et les jeunes filles ravies, de s’envoler vers la maison, toutes joyeuses d’apporter la bonne nouvelle.

 

La bonne nouvelle pour moi, ce fut qu’Alia se présentât bien au rendez-vous fixé, en souriant d’un air réservé et qu’elle prît place à mes côtés dans la Citroën ami8[6] flambant neuve que l’administration m’avait fait livrer quelques jours plus tôt.

 

La moins bonne, c’était qu’Alia qui voulait accepter, en partie parce que je lui plaisais et surtout pour faire plaisir à son père (en fille aimante et de bonne famille), était encore désemparée, par ce que lui avaient appris certaines âmes charitables et qui n’avaient pas cessé de la mettre en garde depuis, contre le Casanova que j’étais

 

En fine mouche, ce jour là, et surtout lors des week-ends suivants, elle me fit comprendre qu’elle n’était pas dupe, que bon nombre de gens savaient quel genre de vie je menais depuis mon divorce … que cela portait ombrage à sa famille, à la mienne et surtout à elle-même … qu’elle n’avait aucun respect pour les fiancés et les maris volages, etc.…

 

Je balayais chaque fois tout cela du revers de la main, l’assurant que cela faisait dorénavant partie d’un passé définitivement révolu et que, dans ma famille, il n’y a jamais eu de fiancé, ni de mari coureur ; et qu’il n’y avait aucune raison, pour qu’il n’en fut pas ainsi dans l’avenir.

 

Aujourd’hui, après plus de trente ans de mariage, je ne suis même pas fier d’avoir tenu parole.

 

Je trouve normal que l’idée même, que je puisse songer à tromper ma femme, ne m’ait jamais effleuré à aucun moment, malgré de multiples occasions, et face à plusieurs femmes séduisantes qui ne demandaient qu’à se faire courtiser, tant au cours de mes nombreuses missions à l’étranger que lors de ma vie de prof universitaire et de doyen !

 

Il y a cependant une autre promesse que je ne suis pas sûr d’avoir totalement tenue envers Alia...

 

Quelque temps avant notre mariage, au moment où elle s’apprêtait à descendre de voiture pour rentrer chez ses parents après l’une de nos promenades, je l’avais retenue par le bras et la regardant dans les yeux, je lui avais solennellement dit :

 

« Tu verras, je saurai te rendre totalement heureuse ! »

 

Elle avait souri en hochant la tête et était partie rejoindre sa famille. Je ne suis pas tout à fait sûr, que la vie à travers laquelle je l’ai entraînée, m’ait laissé remplir totalement cet engagement…

 

Pourtant je me suis presque toujours employé à le faire, à commencer par le jour où je pris la décision de laisser tomber ma fonction, de me faire mettre en disponibilité et de reprendre des études postuniversitaires à Paris où Alia avait été acculée à devoir poursuivre ses études de droit.

 

En effet, Alia qui avait échoué à l’oral en 76, avait dû refaire sa deuxième année pour quelques centièmes de point, à cause d’un système aujourd’hui révolu et qui, j’en suis sûr, a dû éliminer de la course, bon nombre d’excellents juristes[7]

 

En tout état de cause, Alia, avait refait sa deuxième année et quelques dix mois après nos fiançailles[8], elle attendait les résultats de son oral, après avoir de nouveau repassé l’écrit avec succès.

 

Je l’avais accompagnée au campus où je l’avais déposée, en prévoyant de repasser la chercher plus tard après la proclamation des résultats.

 

Une heure et demie plus tard, en revenant la chercher, je l’avais vue de loin, dévaler la pente du campus, à pied, et tête basse ; et lorsqu’elle se fut installée à mes côtés, elle fondit en larmes…

 

Cette année là, en tout début d’année, j’avais rencontré un ancien surveillant de Kassar Saïd qui avait fait sa maîtrise à Paris et qui m’avait parlé d’une convention liant l’université Paris7 Jussieu à l’INSEP de Paris.

 

Cette convention permettait aux étudiants ayant réussi au concours, d'entrée à l'INSEP, d’être directement admis en deuxième année de DEA[9] et de 'sauter' ainsi la 1ère année, et d'être  exemptés des examens de passage en 2ème année.

 

Il m’avait dit que lui-même avait dû repasser ce concours deux fois, ayant échoué à une épreuve très dure de contraction de texte, qui consistait à résumer un texte de 20 pages en une copie de 4 pages, avec un maximum de 80 lignes en tout, et ce, sans jamais utiliser les phrases, ni les mots, du texte original.

 

Et il avait ajouté que, connaissant ma maîtrise du français, il s’était promis de me parler de ce concours, au cas où je serais intéressé par des études postuniversitaires.

 

J’étais alors inspecteur régional, avec les fonctions officielles de chef de service d’administration centrale, j’avais des activités professionnelles qui me plaisaient, j’avais la cote auprès de mes supérieurs, surtout auprès de mon ministre Si Foued Mbazaâ, j’étais promis à de rapides promotions de carrière et j’avais mieux à faire que de me replonger, à nouveau, dans les études et de me risquer à passer des concours, que je n’étais même pas certain de franchir avec succès… 

 

Mais à la vue d’Alia en pleurs en ce tout début de septembre 77, ma décision fut prise et je lui demandai si cela lui plairait de partir à Paris et d’y refaire encore une fois sa deuxième année, la France n’ayant pas ce système tunisien aberrant de cartouches limitées.

 

Cela lui convenait, bien sûr, mais elle trouva ce projet fort problématique, surtout que, pour ne pas lui donner de faux espoirs, je lui expliquai que je devais pour cela, faire une demande pour passer un concours, puis au cas où cette demande serait acceptée, que j’aurais à me rendre à Paris, passer le concours, lui faire une préinscription dans une fac de droit et enfin, dans l’hypothèse de ma réussite, me débrouiller pour avoir une chambre pour couple à la Maison de Tunisie, avant qu’elle-même ne puisse me rejoindre…

 

Et comme j’ajoutais que tout cet échafaudage théorique devait être concrétisé dans l’urgence, (puisque la rentrée universitaire se rapprochait à grands pas,) Alia ne pouvait pas, ne pas le trouver, un peu tiré par les cheveux !

 

Comme il fallait commencer à donner forme à ce projet, et me trouvant donc à Tunis, je me rendis tout de suite au Bardo, chez le collègue qui m’avait parlé du fameux concours et j’obtins de lui, difficilement[10], qu’il me prêtât un manuel de contraction de texte.

 

Puis, aussitôt rentré à Nabeul, je constituai mon dossier de candidature au concours et, pour gagner un maximum de temps, au lieu de le poster à Nabeul, je me rendis à nouveau à Tunis au centre de tri postal où je le déposai pour un envoi en express ; je téléphonai parallèlement à un ami fonctionnaire à l’INSEP de Paris et lui demandai de faire le maximum pour que j’obtienne une réponse rapide.

 

Deux jours plus tard, j’appris que l’économe de la Maison de Tunisie à Paris, n’était autre qu'Habib Zaatour, l’un de mes anciens copains de la joyeuse bande de Sousse (1963) et je pris rapidement contact avec lui, pour apprendre que s’agissant d’être hébergé pendant le passage de mon concours,  il n’aurait pas de difficulté à me procurer une chambre en qualité de passager ; mais que, pour obtenir durablement une chambre pour couple marié, il fallait l’autorisation de notre ambassade à Paris et que la concurrence serait rude, compte tenu du peu de chambres disponibles et du nombre pléthorique de demandes d’étudiants mariés…

 

Mais j’appris par la même occasion, que l’attaché culturel de l’ambassade, était alors monsieur Mokhtar Zneïdi.

 

Or, Si Mokhtar, avant sa récente nomination à Paris, avait assumé la charge de Gouverneur de Nabeul et je connaissais en lui, un gouverneur compétent et efficace, doublé d’un homme affable et courtois, qui était de plus, un francisant redoutable, qui n’hésitait nullement à m’emboîter le pas et à échanger longuement avec moi, en français, au cours des assemblées du conseil du  gouvernorat, à une époque où la langue arabe prenait une place de plus en plus prépondérante dans les réunions officielles.

 

Cela nous avait rendus sympathiques l’un pour l’autre, et je ne doutai pas que grâce à son appui, je puisse aisément me procurer la chambre qu’il nous faudrait... le cas échéant !

 

Il restait cependant un détail de taille ; il fallait que je sois admis au concours et je décidai de m’y préparer, avant même la réponse à ma demande.

 

Je me mis en effet à bachoter un grand nombre d’exercices du manuel emprunté et lorsqu’un mois plus tard, je reçus ma convocation, ainsi que la liste des épreuves du concours, ainsi que les programmes de psychologie et de sciences de l’éducation qu’il fallait maîtriser, je me sentis suffisamment armé pour avoir les meilleurs chances de réussir, ayant durant les dernières années, constamment révisé ces mêmes programmes pour préparer les journées pédagogiques et les conférences que je donnais régulièrement au bénéfice des cadres enseignants de plusieurs régions…

 

J’étais alors en contact permanent avec mon ami Hédi Ben Aissa qui résidait à Paris et qui venait passer pratiquement toutes ses vacances chez moi à Nabeul ; et c’est lui qui, tout naturellement vint me chercher à Orly pour me conduire à la maison de Tunisie.

 

Il m’avait bien proposé de me loger dans son appartement, mais sachant que j’aurais besoin de calme lors des épreuves du concours, j’avais préféré la maison de Tunisie où mon ami l’économe m’avait promis une chambre.

 

En fait, cet ami, s’étant trop avancé, en me disant qu’il n’y aurait pas de difficulté à me loger en qualité de passager, s’était trouvé obligé, mais content, de me loger dans son vaste duplex de fonctions, sa femme et ses enfants étant alors heureusement partis en vacances à Sousse, pendant que 'la maison de Tunisie', connaissait une vague inattendue de passagers, en ce début de mois d’octobre 77. 

  La suite, dans le nouveau post...qui ne saurait tader.

 


[1] Si Mohamed, le père qui était le plus souvent à Tunis ou ailleurs, avait deux épouses en même temps, outre la mère d'Habib, décédée alors que celui-ci était en bas âge et j’étais incapable alors de dire qui était le fils ou la fille de qui parmi les nombreuses dames qui gouvernaient la maison…

 

[2] Si Mohamed qui avait du caractère avait des rapports assez tendus avec sa belle mère habituée au baise main et menant tout son entourage à la baguette ; La dame Rahbia, étant souffrante et ayant langui sa fille, l’avait fait venir auprès d’elle au Kef, laissant les deux ou trois petits enfants sous la garde de leur grand-mère paternelle à Nabeul, alors que monsieur le juge, affecté dans une autre région, était absent. Si Mohamed qui avait compris que sa belle mère voulait faire pression sur lui pour l’amener à venir au Kef solliciter qu’elle veuille bien  autoriser sa fille à suivre son mari et à réintégrer le domicile conjugal, attendit un délai raisonnable, puis sans crier gare alla demander la main de Fatma Lazrak, la fille du mufti de Nabeul, une jeune et riche veuve sans enfants, qu’il épousa comme le lui permettait alors la loi. La dame Rahbia dut ainsi capituler et après avoir gardé encore un moment sa fille en représailles, fut bien obligée de la laisser rejoindre ses enfants et son mari. Pour la petite histoire Jémila et Fatma (Fafa pour les intimes) vécurent non pas comme des rivales, mais comme de véritables sœurs mariées au même homme…

 

[3] Je suis venue en quête de mariage honorable, convoitant la fille de bonne descendance  et d’excellente alliance, votre fille une telle pour mon fils…

 

[4] Ses deux épouses l’ont toujours appelé ainsi, jamais par son prénom et presque jamais par Si Mohamed.

 

[5] La nouvelle de nos fiançailles s’étant ébruitée au campus, tous les jeunes étudiantes de Nabeul, étaient venus la féliciter, plusieurs lui disant avec envie, qu’elle avait choisi le plus beau garçon de Nabeul.

 

[6] En ces années 70, les administrations régionales de tous les ministères n’avaient que de vieilles 4L pour voitures de service et avoir une ami 8 neuve était alors un privilège dont certains directeurs d’administration centrale, ne bénéficiaient pas, se contentant de rouler, comme tout le monde, en 4 L.

 

[7] Cet ancien système aberrant, ne tenait pas compte d’une moyenne générale entre des matières solidaires, il comportait plusieurs notes éliminatoires (en dessous de 07/20) et obligeait les étudiants à repasser, même les matières où ils avaient obtenu la moyenne d’une session à une autre, ainsi qu’à passer de nouveau l’écrit réussi l’année d’avant, après un premier échec à l’oral. Ce système comportait enfin et surtout, une limitation du nombre de sessions d’examens, qui transformait tout second échec en une interruption obligatoire des études (le fameux système des cartouches)…

 

[8] Fiançailles qui furent l’occasion d’un contrat de mariage en bonne et due forme, se déroulèrent par une curieuse coïncidence,  un 29 décembre (76) soit  douze ans, jour pour jour après, ce 29 décembre 64, où fut rédigé au Kef mon premier contrat de mariage…

 

[9] Le DEA, diplôme d’études approfondies, comportait alors une première année avec présence obligatoire à plusieurs cours de TD et TP et un examen assez corsé de passage en 2ème année au bout de laquelle l’impétrant devait présenter un mémoire de recherche sur un thème agréé par son directeur de mémoire. La convention permettait aux étudiants de passer en deuxième année sans examen ni présence aux multiples cours de la 1ère

 

[10] Lorsqu’il m’avait dit avoir pensé à moi pour ce concours, il l’avait fait surtout pour se vanter d’y avoir réussi malgré un premier échec, et tout comme moi alors, il ne pensait pas du tout que cela pouvait m’intéresser. Mais quand, quelques mois plus tard, je lui appris que j’avais décidé de tenter ma chance, Alia qui était à mes cotés, me dira avoir noté une pâleur subite envahir son visage, et il se mit effectivement à bafouiller, en prétendant que tous ses livres étaient restés à Mahdia dans les cartons où il les avait emballés depuis la France, il se reprit cependant pour me dire que néanmoins si j’avais de la chance, il allait pouvoir me retrouver un manuel, manuel qu’il finit par me donner à regret, pratiquant en cela le mandarinat,  cette phobie qui veut que dans certains milieux universitaires, on s’évertue de refermer toute porte franchie, en souhaitant que personne parmi ceux qui suivent ne puisse la franchit à son tour…

 

 

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