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20 avril 2011 3 20 /04 /avril /2011 14:59

Retour à Nabeul.

 

Après notre divorce, Néjette prit la mauvaise habitude de venir passer la nuit de temps à autre chez moi, parfois avec Adnène, d’autres fois sans lui.

 

Elle se remit à me faire la cuisine, comme si nous étions toujours mariés et jouait à la maîtresse de maison, me rappelant nos premiers mois de mariage durant lesquels elle décorait l’intérieur et dépoussiérait méthodiquement la maison. Bien que sentant que la situation risquait de devenir délicate, voire malsaine, j’eus, encore une fois la faiblesse de la laisser faire, n’osant pas la mettre à la porte, avec ou sans, Adnène…

 

Durant cette période, je venais d’être, coup sur coup, promu inspecteur des sports et nommé chef de service dans l’administration centrale ; et je m’activais pour structurer le service de l’infrastructure et du matériel sportif dont la responsabilité m’avait été confiée.

 

Je me débrouillais plutôt bien, à la satisfaction des nouveaux ‘directeur des sports’ et notre patron le ministre, mais au bout de trois mois, et devant les difficultés notoires que montrait Néjette à pouvoir tirer un trait sur notre union, je me résolus à demander mon affectation à Nabeul en qualité d’inspecteur régional des sports.

 

Malgré la surprise et la déconvenue de mon directeur, celui-ci finit par agréer ma demande et au  début de l’année scolaire 71/72, je déménageais à Nabeul, avec de nouvelles attributions.

 

Néjette qui était contente de son travail au ministère de l’agriculture se réinstalla chez sa mère, sans pour autant mettre à profit cette situation, pour mieux s’occuper de son fils devenu davantage encore, celui de Zbeïda sa grand-mère et Hédia sa tante, et reprit sa vie mondaine, ce qui ne l’empêcha pas de venir me rendre visite de temps à autre à Nabeul.

 

Je me souviens même qu’une fois, accompagnée d’une mocheté féministe notoire de cette époque, en la personne de Saïda Agrebi[1] qui, se croyant tout permis, avait fait intrusion chez ma mère, se comportant avec un sans-gêne et une arrogance inouïs, ce qui m’avait incité à la jeter dehors sans ménagement, l’envoyant au diable quand elle me menaça de me régler mon compte auprès de ‘mon ministre’ (dont elle me déclara, sans vergogne, qu’elle fricotait avec lui, ainsi qu’avec d’autres ministres)…

 

Après cet incident, les visites de Néjette s’espacèrent nettement avant de cesser…quelques temps après, j’appris qu’elle s’était unie avec un steward de Tunisair qu’elle quitta assez rapidement pour aller en Irak épouser un officier supérieur de Saddam Hussein…

 

Lorsqu’Adnène eut ses dix ans, je lui expliquais globalement pourquoi je n’avais pas toujours été là pour lui dans sa petite enfance et comment j’avais préféré divorcer et le laisser à la garde de sa grand-mère qui lui servit de mère réelle, pour lui éviter de grandir au milieu de disputes et scènes continuelles, en présence d’un couple déchiré.

 

J’ai toujours regretté de n’avoir pas pu, élever mon fils moi-même, directement, et lui donner davantage d’amour et de sécurité affective ; j’ai été également frustré de n’avoir pas non plus, mieux profité de sa présence durable à mes côtés, lors de son adolescence et de la joie mutuelle que nous aurait procuré son développement psychomoteur et affectif de jeune garçon, sous la protection bienveillante d’un père, jeune et sportif, passant souvent pour un grand frère et pouvant jouer aisément ce rôle, en intermittence avec celui de père…

 

Je sais, pour l’avoir toujours ressenti sans pouvoir y faire grand-chose, que ce manque d’accompagnement durable a permis l’installation d’une souffrance mutuelle, du fils autant que du père, ainsi que d’une grande appréhension à ne représenter pour l’autre, qu’un fils ou un père virtuels, auxquels il a toujours manqué ces élans spontanés, toujours inhibés par cette sacrée pudeur maladive des Haouet, qui nous rend incapables de dire et de montrer à nos proches, combien nous les aimons…

 

Pour ce qui me concerne, cette pudeur continue de me paralyser et, outre Adnène, tant Alia mon épouse que mes filles Ashraf et Amal, en subissent encore et toujours les retombées ; elles savent que je les aime et elles savent que je suis incapable de le leur dire ; est-ce du domaine de l’inné ? Est-ce du domaine de l’acquis ? Je ne saurais trop le dire, mes frères et ma sœur souffrent du même handicap ; et pourtant, sans trop le dire, Si Hmeïda mon père et Nana Mongia ma mère, nous ont toujours montré qu’ils nous aimaient profondément.

 

Je serais porté à croire que les frustrations de mon père tout le long de sa, longue, maladie, suivies de son décès, nous ont causé, à tous, ce traumatisme qui a asséché certaines de nos fibres affectives ; mais peut-être, nos ancêtres les Haouet, les Kamel, les Turki ou les Aounallah, avaient-ils déjà, ce gène aride dans le sang, dont nous avons, les uns et les autres, hérité et qui fait que nous sommes ce que nous sommes, et dont nous sommes, peut-être aigris, mais sûrement, prétentieusement, fiers !

 

Deuxième digression estivale.

 

    Nous sommes le vendredi 14 juillet 2006, Ashraf est à la Marsa, Amal à Tabarka, Adnène Dieu Sait où, entre ciel et terre, Alia et moi, sommes seuls.

 

    Ce matin nous avons fait une longue marche le long de la plage et nous nous sommes baignés plusieurs fois ; par endroits la mer était  sale des suites des crues de l’orage de mardi où il avait longuement plu, juste avant le départ d’Ashraf, mais plus généralement l’eau était d’une limpidité parfaite et ce fut un délice que de s’y immerger.

 

    Alia vient de se réveiller d’une courte sieste, elle est encore fatiguée par notre marche matinale. Il est 14h.

     

     Il y a 32 ans,  jour pour jour et à pareille heure, le dimanche 14 juillet 1974, j’étais assis à une table de restaurant d’un grand hôtel de Hammamet juste en face de Bourguiba qui était en visite de travail dans le gouvernorat de Nabeul.

 

     Après son accueil au siège du gouvernorat et une course effrénée de ville en patelin, dans un cortège bruyant, précédé de motards et de voitures de police, nous avions fait une halte pour le déjeuner. Il y avait là tous les cadres administratifs et politiques importants de la région, ainsi que plusieurs ministres.

 

   Bourguiba était déjà psychiquement diminué, il ressemblait à un César halluciné ; enfoncé dans un fauteuil rembourré, il se tenait droit, comme un i majuscule de rigidité dorsale ; ses yeux flottant dans le vide, il regardait sans voir et j’étais sûr qu’il avait plutôt besoin d’être étendu sur un bon lit, pour une bonne sieste, que d’être là, à subir les affres de la chaleur de ce mois de juillet particulièrement torride, entouré de gens dont il ne connaissait pas le quart de la moitié et serré de près par un gouverneur, dont je n’étais pas sûr qu’il connût l’identité complète, tellement il m’apparaissait avachi.

 

    Il était face à moi, presqu’à portée de bras et je le fixai d’un regard dur, chargé de toutes mes rancœurs familiales à son égard, puis mon regard s’attardant sur ses lèvres tremblotantes contre son dentier, j’éprouvai, subitement pour lui, plutôt de la pitié qu’autre chose...

 

     A peine ce sentiment de compassion me traversa-t-il l’esprit, que les yeux de Bourguiba se fixèrent sur moi, comme s’il voulait m’en transpercer ; aussitôt une vague de ressentiments m’envahit à nouveau, ses yeux de couleur bleu-acier avaient un éclat féroce, il me fixait durement, comme s’il avait deviné le sentiment de pitié que j’avais brièvement eu à son égard et qu’il voulait me prouver qu’il était encore le Grand Bourguiba, il semblait muettement me crier : Plutôt ta haine que ta pitié, un Bourguiba n’inspirera jamais de la pitié, puis subitement son regard s’éteignit et il dodelina de la tête, en imprimant à sa machoire inférieure proéminente un mouvement de vieux ruminant, mourant visiblement de sommeil. 

 

     Lorsque, à la fin de cette journée de travail, je rentrai chez nous à la plage de Nabeul, ce fut pour apprendre que mon oncle Hédi, ce bon nageur, s’était bêtement noyé devant sa maison à côté de la notre et qu’il était mort, peut être parce qu’un responsable, irresponsable, avait fermé à clé l’armoire qui contenait le matériel de réanimation, à l’hôpital de Nabeul et qu’il était parti faire des courses, en gardant la clé dans sa poche…

 

Cet été là, la famille de mon oncle Hédi était exceptionnellement restée à Radés, leur maison de la plage de Nabeul ayant été prêtée à Golda Meyer ma grand-mère et à mon oncle Mohamed, tous deux déboutés dans leur tentative effrénée de mettre la main sur notre propre maison…

 

Et, en ce fatidique 14 juillet, mon oncle Hédi qui raffolait, comme nous tous, de bains de mer, n’avait pas su résister à l’envie de venir se baigner à Nabeul.

 

Il s’était mis au volant de sa coccinelle bleu-ciel et avait quitté Radés, accompagné de son plus jeune fils, âgé alors de 16 ans. Arrivé à la plage de Nabeul, il s’était mis en maillot de bain, avait  chaussé, comme à son habitude ses sandales de plage et mis sa serviette sur l’épaule, puis posant un bras sur l’épaule d'Ali, il s’était dirigé vers la mer, située à peine à quelques mètres de sa véranda.

 

Ce jour là, la mer était houleuse et les vagues, bien que peu hautes, étaient du genre sournois, avec leur ressac vicieux vers le large, mais Am Hédi était bon nageur et il en avait vu d’autres ; tenant fermement son fils Ali par la main, il s’engagea résolument dans les flots et entraînant derrière lui son fils, il fit quelques brassées vers le large pour dépasser la zone de remous et rejoindre les eaux plus calmes en surface…

 

Ali aussi était bon nageur aussi et lorsque, subitement mon oncle fut saisi d’un léger malaise, il aurait pu le soutenir et même l’aider à rejoindre la plage éloignée d’une quinzaine de mètres, mais Am Hédi lui intima l’ordre d’aller chercher de l’aide, sous-estimant les capacités de son fils,[2] en lui disant : vas chercher de l’aide tu ne peux pas me faire sortir tout seul ; vas, je vais faire la planche en attendant, vas !…Ce furent là ses derniers mots.

 

Je connais bien l’endroit où s’est noyé mon oncle ; par mer plate, c’est une portion de lac peu profonde et à l’eau cristalline, parsemée de quelques rochers à mi-hauteur, enrobés de mousses et d’algues, sur lesquels, même des enfants ne sachant pas bien nager, pouvaient prendre appui sur les genoux avant de revenir vers la plage proche en brassées maladroites.

 

Mais par mauvais temps, cet endroit était, et est toujours aujourd’hui, un piège pouvant rapidement devenir mortel, avec ses trous vastes et profonds, parsemant la surface des rochers qui faisaient perdre pied et s’étrangler en avalant de l’eau de travers, à n’importe quel nageur non averti ; et il m’est arrivé de sauver des dizaines et des dizaines d’enfants et d’adultes y ayant perdu pied et se noyant, sans que personne, en dehors de moi, ne s’en aperçoive…

 

Avec des si on mettrait Paris en bouteille, dit un proverbe français ; ah si j’avais été là, mais j’étais en train de déjeuner avec Bourguiba…

 

Mon frère Bédye aussi connaissait bien cet endroit et s’il avait été là…Mais ce jour là, Bédye, ne voulant pas rester devant notre maison, pour éviter la proximité de ceux occupant celle de mon oncle, était parti s’installer devant La Rotonde[3] à une cinquantaine de mètres ; et lorsqu’il avait vu la foule se rassembler devant notre maison et faire des gestes affolés en direction d’un noyé, il avait accouru en vitesse et plongé pour le ramener…

 

En l’étendant sur le sable, il reconnut son oncle et, surpris, choqué et ému, il se mit à le réanimer efficacement, comme nous nous étions, tous, entraînés à le faire.

 

 Mon oncle ouvrit les yeux et, reconnaissant Bédye et Ali près de lui, fit mine de s’asseoir, mais il eut un hoquet et Bédye le remit en position de détresse.

 

Entre-temps, une équipe de secours était arrivée à bord d’une pseudo-ambulance démunie de matériel de réanimation et voulut prendre mon oncle en charge, tentant même d’empêcher Bédye de monter auprès de son oncle ; Bédye les engueula copieusement, leur faisant remarquer l’absence de matériel adéquat et leur disant, qu’il devait continuer à lui prodiguer massage cardiaque et insufflations d’air,  et que sinon son oncle mourrait avant d’atteindre l’hôpital.

 

Bédye parvint à le maintenir entre la vie et la mort jusqu’à l’hôpital où il fut pris en charge par un médecin sûrement incompétent en matière de réanimation, en l’absence de matériel adéquat, enfermé dans une armoire dont il n’avait pas la clé….

 

Je me souviens de la détresse de Mohamed Saïd et de Youssef, mes cousins, lorsque le lendemain, nous étions assis tous les trois sur des chaises adossées au mur de leur maison de plage, ne sachant pas encore si le cortège mortuaire allait démarrer de la plage, comme le voulait Tata Zeïneb, leur maman ou de la maison de notre grand-père, comme voulaient l’imposer 'Golda' ma grand-mère et mon oncle Mohamed…

 

Tata Zeïneb avait très peu apprécié le fait que ma grand-mère nous intentât un procès pour essayer de nous déposséder de notre maison après la mort de papa ; elle avait également mal accepté de devoir se priver, et surtout priver ses enfants de leur villégiature à Nabeul, et ce, pour céder sa maison à une vieille grand-mère, qui ne prenait même pas la peine de regarder la mer et à un oncle capricieux, qui aurait pu louer une maison, au lieu de porter préjudice à ses neveux, en profitant de la générosité de son frère… énormément chagrinée de voir que cela avait pratiquement coûté le vie à son mari, elle n’entendait pas se faire imposer le lieu de départ du cortège et celui-ci se fit bien de la maison de la plage où se déroula toute la cérémonie mortuaire.

 

Durant cette cérémonie, Zeïneb, la fille aînée du Premier Ministre Kaak, malgré son éducation raffinée, ne put s’empêcher de faire entendre à sa belle famille ses quatre vérités, leur criant à la volée : « Vous avez essayé de voler la maison de Si Hmeïda et d’en déposséder ses enfants à sa mort, je vous mets au défi de me voler la maison de mes enfants après la mort de Si El Hédi… ».

 

Bien évidemment, Golda n’eut pas l’outrecuidance de réitérer un procès à mes cousins et les choses se passèrent par la suite normalement…

 

 

La mort de mon oncle Hédi survint, plus de trois ans, après mon installation à Nabeul dans mes nouvelles attributions ; celles-ci prirent d'abord un faux départ, puisqu’au moment où je postulais pour les attributions d’inspecteur régional, le poste venait d’être attribué à un autre professeur fraîchement diplômé d’une école hongroise qui ne voulait  pas du tout d’un poste de gestionnaire et n’aspirait qu’à enseigner.

 

Mais les voies de l’administration, comme celles du Seigneur, sont impénétrables et il fut forcé d’accepter la charge, tandis que, pour ma part, voulant par-dessus tout fuir Tunis (pour décourager Néjette), je dus accepter de n’être que son adjoint, tout en lui servant de mentor pendant quelques mois…

 

C’était un athlète de valeur, mais il n’entendait rien à la gestion sportive et ne voulait même pas s’occuper de l’encadrement des enseignants d’éducation physique de la région, mission principale de l’inspection régionale ; il se faisait même tirer les oreilles pour participer aux réunions d’évaluation des activités sportives régionales, présidées par le gouverneur, et dont l’inspecteur régional qu’il était censé être, était le premier responsable ;  lorsqu’il ne pouvait pas s’excuser d’y assister, il insistait pour que je l’accompagne et que j’expose moi-même les activités réalisées, ainsi que les objectifs et les programmes futurs…

 

A cette époque, les échanges se faisaient au choix de l’intervenant et souvent, même le gouverneur s’exprimait en français durant les réunions techniques, mais l’inspecteur régional ne s’exprimait correctement, ni en arabe ni encore moins en français…

 

Au bout de quatre mois, le gouverneur, qui en avait les prérogatives, demanda qu’on mette fin à ses fonctions et qu’on procède à son remplacement… Pour la petite histoire, il fut tellement heureux de cette décision qu’il m’invita à dîner au restaurant pour fêter la fin de son martyre…Il enseigna dans divers lycées pendant quelques années, puis émigra au Canada…

 

Bien entendu, lorsque le gouverneur demanda au ministère le remplacement de Ali H, le ministre, Si Foued Mbazaâ, qui me connaissait et m’appréciait, lui demanda s’il serait content de m’avoir à la tête de l’inspection et aussitôt dit aussitôt fait, je fus intronisé premier responsable régional…

 

Je me souviens de ces années comme de celles où j’eus le plus de satisfactions personnelles et professionnelles.

 

Le cap bon comptait alors les cadres éducatifs et sportifs les plus compétents du pays, les équipes sportives scolaires raflaient la majorité des titres chaque année.

 

Je parvins facilement, et rapidement, à structurer les activités pédagogiques au sein des nombreux établissements scolaires, à cette époque où l’éducation physique et surtout les sports scolaires,  commençaient à bénéficier d’un bon accueil, auprès des chefs d’établissements.

 

Je formai des commissions de réflexion et de recherche pédagogiques et instaurai des journées pédagogiques auxquelles, outre tous les enseignants de la région, je conviais les directeurs d’établissements les plus proches du lieu de leur organisation.

 

Durant les premières réunions, je fis personnellement les exposés introductifs aux débats que je dirigeai, sans fausse modestie avec maestria ; ces activités intéressèrent vivement les directeurs et même certains professeurs de lettres françaises qui se mirent à fréquenter nos réunions et à participer à nos commissions, les bases et les méthodes pédagogiques étant largement similaires malgré des contenus différents…

 

Au bout de trois ans de travail persévérant, les gouverneurs successifs, les différents chefs d’établissements et les enseignants d’éducation physique ne juraient plus que par moi et je parvins à créer des centres sportifs de formation à Nabeul, Hammamet, Kélibia, Menzel Témime et Grombalia ; ces centres, subventionnés par le ministère et par le gouvernorat, regroupaient les meilleurs éléments des dernières classes primaires et des deux premières années du secondaire et assuraient leur perfectionnement technique, mais surtout le développement de leurs capacités physiques.

 

Dans chaque centre, un ou deux enseignants spécialisés étaient affectés à temps partiel, pour une séance hebdomadaire de quatre heures durant laquelle, ils prenaient en charge deux ou trois vagues de jeunes avec des horaires à la carte selon la disponibilité des élèves, qui bénéficiaient par ailleurs d’équipements sportifs et de collations pour améliorer leur nutrition.

 

Ce système précurseur des centres de formation actuels, était unique au pays durant le début des années 70 et il valut à l’inspection régionale les félicitations de hauts responsables tunisiens et étrangers, notamment allemands… Ce fut aussi durant ces années là qu’avec la participation active de feu Hamadi Dardouri, mon adjoint,  je mis les premières bases à une coopération qui dure encore aujourd’hui, avec deux landers ou régions allemandes, la Rhénanie du Nord Westphalie et la Rhénanie Palatinat…

 

Le cap bon se mit à recevoir de nombreux groupes de jeunes et responsables régionaux allemands et à leur organiser des séjours sportifs et culturels dans les maisons de jeunes et certains hôtels.

 

En contrepartie, des jeunes nabeuliens, accompagnés de professeurs d’éducation physique, étaient invités en Allemagne pour des séjours analogues ; en outre, la partie allemande nous subventionnait en matériel sportif de choix ; à titre d’exemple, la toute nouvelle salle couverte de Nabeul reçut de la Rhénanie Westphalie, un matériel olympique complet, de premier  choix, d’haltérophilie et de gymnastique, outre plusieurs lots de balles et ballons divers pour les lycées et les clubs sportifs civils...

 

Ce fut durant ces années là aussi que j’eus l’occasion d’aller à nouveau à l’étranger, non plus pour études, mais en missions officielles…

 

Je me souviens que lors de l’un de mes voyages en Allemagne, en 1972, notre délégation comptait sept ou huit professeurs d’éducation physique dont quatre entraîneurs de handball et de foot et une vingtaine de jeunes sportifs scolaires.

 

Notre groupe fut hébergé dans un complexe sportif comptant une quinzaine de chambres d’hôtes, plusieurs salles couvertes spécialisées, une petite piscine couverte, réservée pour deux écoles primaires avoisinantes et une grande piscine de plein air ouverte au public ; et je pus voir, durant le mois de décembre et janvier, ce public de jeunes et de moins jeunes, et même des gens du troisième âge, venir, dès six heures du matin, pour faire des longueurs de bassin, dans une eau chauffée à température acceptable, mais sous une pluie battante et même parfois sous des flocons de neige, la tête couverte du bonnet réglementaire et affichant des sourires de satisfaction comme s’ils étaient sur la plage en plein été…

 

Ce complexe comportait également une patinoire olympique, elle aussi ouverte au public et aussi courue que la piscine, à cette époque la mode du jogging américain, do it yourserlf, avait atteint l’Allemagne et tout le monde, trottait, nageait ou patinait, avant d’aller en classe ou au bureau c’était la vogue du fameux Trim dich, qui voulait aussi dire fais le ( cours, ‘bouge toi’) ; j’appris avec envie, que mêmes les écoles primaires avaient à leur proximité immédiate, soit une piscine soit une patinoire, quand elles n’avaient pas à leur disposition, comme les lycées (gymnasium), tout un complexe avec plusieurs salles spécialisées[4].

 

Je découvris, avec la même surprise mêlée d’une certaine jalousie, que les professeurs d’éducation physique, étaient en même temps professeurs de lettres ou de sciences…que les landers allemands avaient leurs propres gouvernements régionaux, et nous fûmes ainsi fêtés et choyés par deux ministères locaux de la jeunesse et des sports[5] qui organisèrent pour nous, des soirées culturelles et des visites de sites et d’établissements divers, à satiété…

 

Ma deuxième mission en Allemagne ; eut lieu deux ans plus tard, en 1974, en pleine phase finale de la coupe du monde de football et si, en 1972, je pus résister aux allemands, en refusant systématiquement, de goûter à leur schnaps et à leur bière dont j’ai toujours eu une sainte horreur de son goût amer, en 1974, je fus bien obligé de composer...

 

En 1972, entre les officiels allemands et moi-même, les contacts étaient emprunts de caractère officiel et de simple courtoisie, mais en 1974 nous nous connaissions déjà beaucoup mieux et nos rapports étaient devenus plus familiers, même entre responsables et chefs de délégations.

 

Les voyages des Allemands étaient plus souvent programmés en début d’été et ceux des Tunisiens plutôt pendant les vacances de l’hiver ou du printemps ; et tant en 72 qu’en 74, l’histoire voulut que l’Allemagne soit alors en pleine préparation de compétitions sportives mondiales :

 

Durant l’été 72, les jeux olympiques devaient se passer à Munich et l’Allemagne était déjà en ébullition six mois avant ; en 74, elle organisait la phase finale de la coupe du monde de football et durant ces deux premières missions, j’eus l’opportunité, et la chance de voir de près les spécialistes allemands s’afférer aux préparatifs de ces deux échéances sportives mondiales…et de beaucoup apprendre de leur sens de l’organisation… 

 

Sur un autre plan, les Allemands, venant en Tunisie en vacances, depuis bien plus longtemps que le début de notre coopération sportive, leurs responsables avaient appris à connaître les mœurs et les travers de certains gouverneurs et notamment ceux d'Amor Chéchia, dont j’ai déjà dit qu’il était amateur de chair fraîche et de touristes allemandes dont il n’avait pas hésité à forcer certaines à lui offrir leurs charmes…

 

C’est sûrement pourquoi en 72, notre interprète, un certain Johnny, un petit bonhomme d’à peine 1m60 et aux cheveux blonds cendrés et seul du groupe allemand à parler couramment l'anglais, vint m’apprendre que je devais changer de résidence et quitter le complexe sportif et ses chambres d’hôtes pour aller habiter chez une amie de sa famille. Il m’expliqua que celle-ci s’était portée volontaire, avec son mari, pour loger un membre de la délégation tunisienne, et ce, depuis plusieurs mois déjà.

 

Je ne trouvais rien à y redire et me fis accompagner chez mes nouveaux logeurs.

 

En cours de route, Johnny m’apprit que le couple s’était séparé entre temps et que l’épouse, en instance de divorce, avait quand même tenu à honorer la promesse faite aux officiels allemands. Ne connaissant ni son âge, ni sa physionomie, je ne fis aucun commentaire pensant que j’allais avoir affaire à une dame d’un certain âge…

 

Mais quelle ne fut ma surprise lorsqu’au coup de sonnette de Johnny, une belle brune de moins de trente ans, aux yeux verts et aux formes généreuses, ouvrit la porte de son appartement et nous accueillit avec un sourire radieux…Ma mallette et mon sac de sport empli des cadeaux offerts par les allemands à la main, je ne pus que répondre à son sourire et entrer, comme elle m’invitait à le faire du geste.

 

Johnny s’éclipsa rapidement après quelques mots de présentation, en m’apprenant que ma logeuse comprenait l’anglais mais qu’elle le parlait mal…Pour ce qui me concerne, je ne comprenais presque pas l’allemand et nous dûmes prendre beaucoup de temps pour faire connaissance et essayer de communiquer.

 

J’avais 32 ans en 1972 et passant plusieurs soirées, en tête à tête, avec une très belle brune, son langage corporel langoureux prit rapidement le pas sur son anglais biscornu  et ce qui devait arriver, arriva très vite.

 

Le jour de mon départ, et jusque sur le quai de la gare de Duisburg, d’où nous devions rejoindre l’aéroport de Düsseldorf, ma belle brune était en pleurs et insistait encore, pour que je laisse partir ma délégation et prolonger mon séjour…

 

En 1974, l’Allemagne qui remportera la coupe du monde quelques mois plus tard (contre les Pays bas), disputait un match de qualification contre l’Espagne ; les dirigeants régionaux de la jeunesse et les sports m’avaient invité à cette occasion à une soirée dîner où l’on regardait le match  à la TV en grignotant des amandes salées et autres amuse-gueules, tout en ingurgitant des litres et des litres de bière allemande avant de passer à table…devant mon refus poli, la maîtresse de maison et son mari, président d’un club important de la région, m’assimilant à un français, me proposèrent un pastis et insistèrent lourdement, pour que je ne sois pas le seul, parmi les femmes et les hommes réunis, à ne pas boire d’alcool…

 

A cette époque de ma vie, il m’arrivait de prendre avec des amis un pastis ou un ricard dont j’aimais bien le goût anisé, mais je prenais, au maximum deux petits verres, avec beaucoup d’eau ; mais ce soir là, le match s’étant achevé par la victoire des allemands, toute l’assistance fêta cette victoire en buvant et en dansant.

 

La maîtresse de maison, une rouquine âgée alors d’une quarantaine d’années, mais qui prenait visiblement soin de son corps et de son visage, avait insisté pour me placer à sa droite et essayé de me servir du vin rouge, en me disant d’un air déjà éméché, Ya  bon, good wine français; devant mon refus, (j’ai toujours eu horreur du goût du vin, encore plus que de celui de la bière), elle fit mine de se fâcher et alla me chercher une bouteille de Ricard qu’elle décacheta d’autorité, en me servant un verre et en m’invitant à trinquer pour un toast à l’amitié tuniso allemande.

 

Qui plus est, elle m’invita à danser plusieurs slows, en se pendant à mon cou et en se frottant outrageusement contre moi, prenant toutefois le soin de se masquer au regard de son mari, derrière d’autres danseurs, alors que son époux, lancé dans des discussions interminables avec un groupe d’amis aux panses énormes, comme tout bon allemand quinquagénaire qui se respecte ; j’étais terriblement gêné et je ne savais pas quoi faire pour calmer ma cavalière ; fort heureusement l’un des responsables allemands qui avait observé son manège, et remarqué ma gêne, vint me la prendre des bras en souriant, et l’invita à danser avec lui, me disant en anglais approximatif que je devais aller discuter un peu avec d’autres responsables du groupe…

 

A la fin de la soirée, la rouquine totalement ivre, et qui avait essayé de danser encore avec moi, mais qui fut refroidie, deux fois de suite par une remarque cinglante de son mari, se proposa  quand même de me reconduire dans sa voiture chez ma logeuse (une autre femme seule, mais veuve et âgée). 

 

Cette fois-ci, ce fut encore le responsable qui m’en avait débarrassé en l’invitant à danser, qui s’interposa en lui disant, que c’était à lui de me reprendre en charge et qu’il devait d’abord me conduire chez lui pour signer des papiers (ce qui n’était pas vrai du tout).

 

En me reconduisant, il s’excusa en me disant, que malheureusement plusieurs épouses allemandes n’ont aucun problème à tromper leurs maris et que, parfois même ceux-ci sont consentants ou, au mieux, font semblant de l’ignorer…Je répondis alors que chez nous, c’était exclu ou du moins rarissime ; et que c’était surtout les maris, qui, parfois, trompaient leurs épouses après leur avoir fait plusieurs enfants et avachi leurs corps…ce qui était alors vrai, du moins en partie…

 

C’est aussi durant le début de ces années 70, que sur le plan de ma vie intime, je vécus la période la plus folle et la plus débridée ; et si certaines de mes nombreuses conquêtes, plus ou moins éphémères ont été intéressantes, voire pour quelques unes instructives, il m’est arrivé aussi de vivre des aventures dont je garde un souvenir emprunt de remords et même d’une certaine honte…

 

Il faut rappeler, à ma décharge, qu’ayant vécu ma puberté et mon adolescence en étant entouré de jeunes filles européennes ou européanisées, j’ai eu, depuis longtemps, un rapport assez libéral avec la vie sexuelle ; et lorsque d’aventure, l’une ou l’autre de mes toutes jeunes dulcinées se faisait moins consentante, je me rabattais sans vergogne sur l’une des bonnes de la famille élargie ; ce fut ainsi l’une des bonnes de ma tante Rachida, (la sœur de ma mère) qui, dès l’âge de 11/12 ans, faisant d’abord mine de s’offusquer de mes attouchements timides et maladroits, se chargea rapidement de ma première éducation en la matière.

 

Et je me souviens de ma surprise et de mon étonnement, lorsqu’elle parvint un jour, après avoir frotté mon petit sexe contre son bas ventre, à me faire éjaculer dans sa main, exhibant toute fière, à mes yeux, une espèce de liquide blanchâtre qui n’était pas tout a fait du sperme…

 

Depuis cette première expérience, concluante (et valeureuse à mes yeux), je me pris pour un expert en la matière et c’est moi, qui, le plus souvent, prenais la direction des opérations ; et à l’âge de 14 ans, j’avais fait le tour de toutes nos petites voisines françaises, juives et italiennes, sans parler de toutes les bonnes de la famille…

 

Mes nombreuses expériences ultérieures d’adolescent  et de jeune adulte, dont j’ai relaté quelques-unes dans la première partie de cet écrit, m’ont confirmé dans cette conception de vie sexuellement libérée…

 

Plus tard, ma relation quasi-maritale avec Marie Jo, la prof de Kélibia, puis celle encore plus durable avec Micheline à Paris, m’avaient habitué à ne pas me poser de questions sur les conséquences éventuelles de ces relations tant les choses allaient de soi, pour les concernées, pour leur milieu professionnel et même pour leurs familles…

 

Et, à mon retour de Paris, la première femme tunisienne qui se trouva sur mon parcours libertin, fut Néjette que j’entraînais dans mon errance, sans me poser de questions, pour apprendre très vite à mes dépens, que la loi, tunisienne en l’occurrence, réglementait la vie sexuelle et ne badinait pas avec le libertinage…

 

 

 

 


[1] Cette forte femme , s’illustra plus tard en devenant la rabatteuse officielle des femmes tunisiennes au service de la régente de Carthage, la coiffeuse-présidente, épouse et âme damnée de Ben Ali, le tyran tunisien qui fut récemment déboulonné par la révolution tunisienne, le 14 janvier 2011.

 

[2] Mon père avait eu, lui aussi, la même réaction, lorsque l’ambulance qui le ramenait s’étant arrêtée devant notre maison, je voulus le prendre dans mes bras pour le porter à son lit, il refusa, préférant que l’ambulancier se charge de le porter ; celui-ci, buta contre le perron de la villa et faillit tomber, avec mon père dans les bras…

 

[3] Café restaurant de la plage historiquement bien géré par une famille juive de Nabeul.

 

[4] Malheureusement pour la Tunisie, en 2011 au moment où je remets en forme ce texte, l’infrastructure sportive scolaire qui avait commencé à se développer un tant soit peu dans les années 70/80 recommence à péricliter, sinon à disparaître du paysage …

 

[5] Celui de la Rhénanie Palatinat et celui de la Rénanie Westphalie du Nord…

 

 

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