Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 mars 2011 2 29 /03 /mars /2011 12:44

Adnène El Barèze.

 

A cette époque, la santé de papa commençait à décliner sensiblement, il n’arrivait pas à stabiliser son diabète qui, comme cela est mieux connu aujourd'hui, agit sur le caractère du malade et le rend nerveux, agressif et colérique, états qui en retour, aggravent le diabète en un cercle vicieux extrêmement difficile à rompre ; pire encore, ce cercle se dédouble en fait d’un autre, encore plus vicieux, entre cette pathologie et le processus de cicatrisation de la plus petite plaie ou blessure, en ce sens, que celle-ci peut rapidement dégénérer et produire des complications impensables chez un non diabétique.

 

Mon père, comme tous les Tunisiens et Tunisiennes de cette génération là, aimait bien aller au bain maure une fois par semaine ; cela lui procurait un certain bien être physique et l’aidait à se sentir, un peu, mieux dans sa peau.

 

En 1961, à l’âge de 51 ans et après plusieurs années de problèmes et de soucis divers, il était devenu excessivement douillet, et le masseur qui avait l’habitude de s’occuper de lui, lui lavant soigneusement les membres, la tête et le torse, s’oubliant un jour maudit, et croyant bien faire, lui frotta le dos, un peu trop énergiquement, lui occasionnant une petite écorchure sur la colonne vertébrale, entre les deux omoplates.

 

Cette blessure insignifiante, lui fit mal deux ou trois jours après, et maman, en lui examinant le dos à sa demande, trouva ce qui ressemblait à un petit furoncle qu’elle nettoya au moyen d’un coton imbibé de teinture d’iode et qu’elle recouvrit d’un petit pansement stérilisé. Mais deux jours plus tard, la douleur devenant plus gênante, maman s’aperçut que le petit furoncle devenait plus gros, et pensant néanmoins ne pas devoir alerter son médecin traitant, spécialiste dont le cabinet était à Tunis, elle téléphona à un médecin étranger dont le cabinet se trouvait à quelques vingt mètres de chez nous.

 

Le docteur Zorbaïdess, médecin généraliste d’origine mal définie, mais ayant fréquenté les facultés françaises, était un vieux beau d’une cinquantaine d’années et  venait de se remarier sur le tard, avec son infirmière française, après un assez long veuvage. Ce Zorbaïdess, présuma trop de ses connaissances en matière chirurgicale et, bien que sachant son malade diabétique, se mit à triturer le furoncle pour le nettoyer, ce qui eut pour malencontreux résultat, d’en approfondir et d’en élargir le cratère, après deux jours de soins quotidiens.

 

Zorbaïdess ne fut même pas fichu de comprendre que le furoncle, mal soigné, avait donné naissance à des petits qui, s’étaient vicieusement unis pour donner un gros anthrax de plusieurs centimètres de diamètre, ce qui empêchait papa de bouger la tête ou de dormir pendant plusieurs jours ; après un ou deux autres examens et d’autres manipulations malheureuses, ce médecin prit peur devant le grossissement inquiétant de ce qu’il croyait encore être un furoncle et il s’avoua vaincu. (Il eut au moins le courage de le faire sans trop de retard supplémentaire, ce qui ne sera  pas toujours le cas pour d’autres, parmi ses collègues…)

 

Fort heureusement, mes parents n’avaient pas vraiment attendu le forfait de ce médecin dépassé par les évènements. Ils avaient décidé d’alerter le spécialiste de Tunis et planifié de s’installer à la Kasbah chez ma grand-mère, pour quelques jours croyaient-ils, le temps de bien traiter le méchant furoncle… 

 

Ils durent passer plus d’un mois à Tunis, et, non pas chez grand-mère, mais à la Clinique de la Médina tout près de Bab Ejdid, où son médecin nutritionniste, le fit admettre de toute urgence, ayant constaté que sa glycémie avait grimpé à 4gr, et qu’il ne s’agissait plus du tout de furoncle mais d’un méchant anthrax.

 

Ce médecin le mit sous observation, avec un régime diététique draconien pour faire baisser sa glycémie et pouvoir ainsi le faire opérer sans complications.

 

Après l’opération, il le garda en observation, toujours avec le même régime, pour éviter toute recrudescence du maudit cercle vicieux….. Ce fut là la première chaude alerte, au cours de laquelle nous faillîmes déjà perdre papa ; mais, si la maladie lui accorda un sursis, celui-ci fut de courte durée.     

 

     Trois ans plus tard, au tout début de l’année 64, après quelques temps sans problèmes notables de santé, hormis son diabète et une perte de poids assez conséquente, papa qui avait les pieds très fragiles, (ce qui est le cas de tous les diabétiques comme on le sait mieux de nos jours), et bien que faisant attention à ne pas se blesser, eut un orteil écorché par des chaussures neuves.

 

Le cycle maudit reprit son cours et, quelques mois à peine, après mon mariage([1]), papa eut ainsi à se faire opérer, une première fois, pour l’ablation du gros orteil qui avait viré au gris foncé, avant qu’un autre médecin traitant, ne jugeât, (trop tard), qu’il était nécessaire de recourir à cette ablation, pour éviter l’apparition de la gangrène ; suite à cette mesure tardive, il dut se faire opérer, par deux fois encore, coup sur coup dans un laps de dix jours, d’abord pour l’ablation du pied qui commençait à bleuir sournoisement…

 

Et l’ultime ablation qu’il eut à subir, concerna son membre inférieur qu’on lui trancha  au-dessus du genou ([2]) et  fut décidée, encore une fois trop tard, alors que papa avait compris que cela ne servirait plus à rien.

 

Je relaterais un peu plus loin, si Dieu veut bien me prêter vie jusque là, le détail des circonstances dans lesquelles se sont déroulées ces opérations mal programmées, parce que toutes décidées trop tard, par un autre médecin, peu compétent et trop lent à la détente, mais pour l’heure, que mes lecteurs sachent que cette dernière opération ne fit qu’affaiblir davantage papa, que je retrouverai quasi-mourant sur son lit d’hôpital ; et que je décidai de faire ramener de toute urgence par ambulance à Nabeul. 

 

Cette ultime ablation inutile de la jambe de Papa, eut lieu, début mai 1966, alors qu'Adnène mon fils, qui  naquit le 22 décembre 65, était  âgé de quatre mois et une semaine.

 

Adnène naquit après minuit, bien que j’eusse accompagné Néjette à la maternité de l’hôpital Habib Thameur, ce 21 décembre, tout au début de l’après midi pour un accouchement que le médecin pensait imminent.

 

Après avoir, longuement et vainement, attendu à la maternité, je dus aller faire réparer la Borgward, fortuitement tombée en panne, en laissant Hédia, ma belle sœur, aux côtés de la future maman.

 

Je ne pus récupérer ma voiture que trois jours plus tard, la panne s’étant avérée plus grave que je ne pensais et, c’est au volant d’une très belle TR4, une Triumph rouge décapotable, très basse et allongée que me prêta mon ami Radhouane B.S,  que je circulais pendant cette petite période.

 

Aussi, c’est à bord de ce beau bolide que j’emmenais El Barize Adnène à ses grands parents à Nabeul, le 24 décembre, vers dix heures du matin.

 

Néjette étant encore fatiguée, je l’avais conduite auparavant chez sa mère où elle comptait passer les premières journées post accouchement, en tunisien  Nfèss ; et c’est donc à bord de la belle Triumph Sport, bien calé sur la banquette arrière, et bien emmitouflé dans son berceau en forme de grand couffin, qu’Adnène fit son premier voyage de Tunis à Nabeul, alors qu’il était âgé, à peine, de 48 heures.    

 

Papa, n’avait pas encore écorché son gros orteil et il attendait, avec maman, l’arrivée de leur premier petit fils, avec une grande fébrilité.

 

Et lorsque je m’arrêtai devant la véranda de notre villa dont je trouvai les deux battants du portail grands ouverts, papa et maman me prirent des mains, avec beaucoup d’empressement, le couffin dans lequel Adnène dormait et le déposèrent sur la grande table de notre patio couvert pour mieux examiner le bébé ; puis maman prit délicatement dans ses bras Adnène endormi et l’embrassa doucement sur le front, avant de le mettre dans les bras de papa.

 

Lorsque papa eut Adnène dans les bras, celui-ci, totalement léthargique auparavant, ouvrit les yeux et se mit à dévisager son grand père, en fixant les verres de ses lunettes qui miroitaient à la lumière du soleil tiède de décembre dont les rayons traversaient timidement les vitrages recouvrant le patio. Tout le monde pouffa de rire, à la mine curieuse du bébé qui poursuivait tranquillement l’examen des visages qui l’entouraient.

 

Nous étions au milieu des vacances scolaires de l’hiver, ma sœur, ainsi que tous mes frères étaient présents, et tout le monde était aux anges…Même papa qui, comme vous l’avez appris à travers ces récits, ne souriait presque plus et  qui riait encore moins !

 

Il était rayonnant et ne voulait pas donner son petit fils à ses jeunes oncles qui voulaient le prendre dans leurs bras.Son visage était illuminé et il affichait un large sourire que je revois encore aujourd’hui en écrivant ces lignes…

 

Papa, dont le sourire s’estompa, finit par céder Adnène à Lilia ma sœur, puis ce fut le tour de Bédye, Badreddine, Féthi et Hamadi, avant que le bébé, sans doute énervé d’être manipulé, aussi maladroitement, ne se mette à miauler, puis à pleurer à tue-tête.

 

Maman, qui s’était éloignée, revint rapidement avec une photo à la main, en disant : « Regardez, comme il ressemble à son père ».

 

Tous les bébés d’un jour ou deux, se ressemblent, parfois beaucoup, mais sur cette photo où, moi Taoufik,  figurais quelques heures après ma propre naissance, même Néjette n’aurait pas pu distinguer son mari, de son fils Adnène, (que l’on avait consenti, à regret, à remettre dans son berceau, et qui s’était de nouveau endormi…)

 

Et tout le monde de renchérir en examinant la photo et en la comparant à l’échantillon du berceau !! En définitive, tout le monde tomba d’accord ; et mes frères se mirent à rigoler et à me charrier, en me déclarant « Ah ça, oui, Adnène est  bien ton  fils, le doute n’est pas permis !!!

 

Durant les quelques semaines qui lui restait à vivre, papa fut toujours heureux de revoir son petit-fils pendant les week-ends et je ramenais Adnène avec moi le plus souvent possible, même quand Néjette, deux ou trois fois, renonça à m’accompagner…

 

Juste après le contrat de mariage, Néjette m’avait accompagné pour la toute première fois chez mes parents et elle fut reçue assez bien par ma famille ;  Mama Douja, ma grand-mère, l’adopta tout de suite avec enthousiasme, la trouvant belle et élégante ; avec mes frères et ma sœur le courant passa également, plutôt bien.

 

Maman, à qui elle plaisait visiblement, la reçut gentiment mais avec un zeste de circonspection… Quant à Papa, il afficha à sa vue, le visage fermé et intimidant dont j’ai hérité (et que j’ai transmis notamment à Adnène), avec cet aspect glacial et plus que réservé, qui disait clairement au vis-à-vis, mal ou peu apprécié : Garde bien tes distances, je ne permets aucune familiarité. 

 

Au fil des jours, les choses s’améliorèrent, un tant soit peu entre Néjette et mon père, mais celui-ci ne permit jamais à leurs rapports de dépasser le stade d’une espèce de modus vivendi de présence tolérée ;  papa, dont le caractère était déjà aigri par la maladie et la gêne financière relative qu’il vivait mal, semblait sourdement reprocher à sa belle fille le mariage forcé de son fils…Et il lui arrivait parfois, de le montrer et même de laisser entendre qu’il n’était pas dupe quant à la gentillesse qu’elle essayait de manifester à son égard.

 

Parfois cela décourageait Néjette, au point de la dissuader de m’accompagner.

 

Et c’était surtout pendant ces week-ends là, que papa, même quand il était légèrement souffrant, se mettait à cajoler Adnène, qu’il réclamait souvent qu’on le lui rapprochât pour ce faire, allant jusqu’à exiger parfois, qu’on le laissât seul avec lui, sans doute pour ne pas avoir à afficher à nos yeux... sa joie toujours empreinte d'amertume et parfois d'esquisses de sourires... 

 

Depuis plusieurs années, il avait beaucoup de réticence à laisser percer ses sentiments, mais la présence d’Adnène à ses cotés, semblait le ramener des décennies en arrière, en ces jours heureux où, jeune, beau et en bonne santé, il cajolait volontiers ses propres enfants, les comblant de cadeaux !

 

Et Adnène lui procura ainsi ses dernières petites joies et ses dernières bribes de bonheur…

 

***

 

 

    

 



[1] Mariage qui ne donna lieu à aucune cérémonie, mis à part un grand repas familial organisé en l’absence de la famille de Néjette que la mienne acceptait encore  mal.

 

[2] En Europe actuellement, et pour des cas similaires, on préconise tout de suite de trancher au-dessus du genou pour éviter tout risque de saut de la gangrène, préférant ainsi sacrifier sa jambe que de risquer de perdre le malade…

 

Partager cet article
Repost0